 Reprenant Don Carlo, un de ses Verdi favoris avec Falstaff, Trovatore et Otello, Karajan savait qu’il avait enfin trouvé son jeune prince. Plus encore que dans l’enregistrement berlinois pour les micros d’His Master’s Voice l’année précédente, Jose Carreras irradie de son impuissance désespérée cette soirée viennoise en tout point historique, et il faut entendre quelle amertume lui tisse Karajan, dans ses élans comme dans ses atermoiements. A Salzbourg vingt ans plus tôt, Eugenio Fernandi n’avait été qu’un second choix, aussi bien chantant fut-il. Autour de ce prince hanté, une troupe formidable referme le piège, l’Elisabetta esseulée et noble de Freni serait un modèle si je n’avais pas en souvenir les torches plus vives de Jurinac, de Brouwenstijn, de Tebaldi même en son automne, pas un bémol pour l’Eboli splendide de sensualité et de fureur d’Agnes Baltsa, toujours plus dévastatrice en scène qu’au studio (elle se surveille plus dans le HMV, je la préfère ici, amante tigresse). Piero Capuccili, égale à lui-même, chante noblement son Posa, et Raimondi ? J’en entends qui vont déjà lui préférer Ghiaurov, si imposant de noblesse au studio, mais il faut entendre la désolation que Raimondi met à « Ellla giammai m’amo » et plus encore l’effrayant échange avec le Grand Inquisiteur, vraie voix de meurtrier, de Matti Salminen. Les tempos sont larges, le drame n’en est que plus étouffant, Karajan règne sur la fosse et sur la scène, accompagnant l’implacable descente aux enfers d’un José Carreras simplement inouï. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)

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