 Et j’ai pleuré !... Puis j’ai séché mes larmes à l’écoute des trois pièces posthumes et des trois dernières sonates de Franz Schubert (1797-1828) sous les doigts acérés du jeune pianiste allemand Fabian Müller, tant - dans une interprétation à l’opposé de celle récente sur pianoforte de la japonaise Ayako Ito - j’ai été happé par une urgence. Ici rien d’analytique dans le jeu, juste un regard au lointain et une ligne de chant, un cri de désespoir enclavée dans une réverbération étouffante, comme un dernier souffle, comme un ultime sursaut d’énergie avant, à 31 ans, le grand voyage vers l’inconnu, celui qui donne du sens à la vie. Oui, à l’âge où Franz, génie du romantisme pur, de la sincérité en musique, de la tendresse faite son, nous quittait, Fabian Müller s’approprie ces testaments musicaux, va chercher dans les moindres signes et ne laisse échapper aucune des infinies lignes mélodiques, aucune des plus infimes nuances, dans un élan de générosité où la fougue de la jeunesse nous dévoile la polyphonie la plus mystérieuse de mouvements lents qui prennent soudain la lumière venue d’un au-delà fantasmatique et libère en une virtuosité insoupçonnée la pensée schubertienne si simplement complexe. Que de force et de violence tempêtées, que de sagesse et d’abandon susurrées, que de beauté et de poésie révélées, et quand ce chemin sera traversé, quand les sons se seront à jamais apaisés, quand Schubert-Müller s’en sera allé, que nous restera-t-il ? Un souvenir… Le souvenir… Le parfum de l’âme. (Florestan de Marucaverde) Le piano d’abord : un Steinway de 1956, tout entier boisé, sans clairon, d’une palette aux subtilités à nulle autre pareil, et qui chante, avec un medium d’une présence éclairante. Fabian Müller a trouvé son instrument, mieux qu’un piano, un médium. La sonorité naturellement raffinée de ce jeune pianiste allemand évite tout narcissisme, portée par ce beau meuble de sons, les tempos sont vifs –impression renforcée par l’absence des reprises (le pianiste s’en explique dans l’entretien reproduit dans le livret, invoquant l’exemple d’Alfred Brendel) pour mieux préserver dans le sensible du discours ces moments de retrait, ces échappées belles lyriques qui creusent l’espace narratif : écoutez comme se construit l’Allegro de la Sonate en la majeur, comment il sait retenir le temps par un lacet de soie. Les phrasés, les suspensions, les pianissimos fantasmagoriques, les visions (la tempête de l’Andantino) rapprochent inexorablement cette Sonate du Winterreise. L’étape centrale du voyage condense le propos narratif qui unifie les quatre opus, car Fabian Müller débute l’album avec les ultimes Klavierstücke qu’il joue preste –sa sonorité aiguisée me rappelle celle de Firkusny – avant d’aborder les proclamations épiques de la Sonate en ut mineur, sachant qu’ici Schubert se mesure à Beethoven. Il saisit le fantasque de l’œuvre, et transfigure l’infernal rondeau final, des spectres y dansent derrière les elfes, fabuleux ! D’autres horizons paraissent dans les trilles de la Sonate en si bémol, un autre monde de sons, comme perçus d’un lointain. Il faut entendre comment Fabian Müller modèle cette musique irréelle, venue sous ses doigts d’une autre planète. Maintenant qu’il a trouvé et Schubert et ce piano si touchant, il nous doit de poursuivre son voyage entrepris avec la grâce d’un Kempff, d’une Haskil. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)
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