Franz Schubert (1797-1828)
Die schöne Müllerin (La belle meunière), D795
Winterreise, cycle de 24 lieder, D 911 (Le voyage d'hiver)

Inez Matthews, soprano
Lowell Farr, piano

Lotte Lehmann l’avait osé : "Winterreise" ne serait plus l’exclusive des barytons et autres ténors, une soprano se l’approprierait. Devant les micros de Period, une chanteuse aussi artiste qu’Inez Matthews ne pouvait que se rappeler son illustre devancière, cela s’entend dès l’urgence de "Gute Nacht", beau comme une supplique, et porté par ce vibrato serré qu’elle partagea avec Nan Merriman, sa mezzo miroir. Celle qui fut la Serena du premier "Porgy and Bess" au disque et une transcendante Carmen Jones à la scène donna tout pour le lied, exemple quasi unique dans les USA des années cinquante où elle succédait pour les vrais amateurs, à Marian Anderson elle-même. Son "Winterreise" sera touchant au possible, regardant le tragique les yeux grand ouvert, ne craignant pas les abimes, allant jusqu’au Leiermann en chantant toujours droit, modèle trop peu connu de ce coté de l’atlantique et qui, à rebrousse temps, questionne les approches expressionnistes de Brigitte Fassbaender et de Christa Ludwig. Il y avait une autre voie possible, celle plus schubertienne, qu’avait initié justement pour le Nouveau Monde Lotte Lehmann, cette pudeur sans pruderie, cette douleur sans cri, cette élévation sont au fond essentiels à qui veut connaitre tout de Winterreise. Et "Die schöne Müllerin" ? Inez Matthews se garde bien de le faire léger, la désillusion vient vite, un peu d’amer dans la voix le laisse entendre, admirable proposition qui est restée, pour les voix de femme, quasi unique et accroit encore le prix de ce retour inespéré. La résurrection de ces deux album Schubert où Lowell Farr - il apprit son art auprès de Nadia Boulanger, Gérard Souzay l’admirait - fait mieux que l’accompagner, chante avec elle de son piano diseur et pourtant discret, est un petit miracle auquel Leslie Gerber doit donner une suite : par les mêmes," Schwanengesang et les "Gellert Lieder" de Beethoven veulent aussi "revenir". (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)

Un choix doublement courageux. Dans l’Amérique des années 50, Schubert était quasiment absent des salles de concert, et les chanteurs noirs cantonnés à "Porgy and Bess" et au Gospel. La soprano afro-américaine Inez Matthews en fut probablement de sa poche pour que ce disque existât. Grâces lui en soient rendues. La chanteuse joue de l’infinie variété de coloris de son timbre splendide (le vibrato serré sera affaire de goût) pour peindre les désarrois du petit meunier et les états d’âme du voyageur d’hiver avec une empathie et une justesse qui dénotent une artiste de première force, tant ces cycles relèvent d’une sensibilité masculine. Il faudrait des pages pour détailler toutes les richesses et les trouvailles d’interprétation, qui outre l’intelligence et la solide technique de la chanteuse démontrent les profondes affinités qui l’unissaient à l’univers schubertien. Le charme déployé dans "Der Neugierige" et dans "Morgengruss", l’impuissance et la rage qui sourdent de "Die Böse Farbe", l’irrésistible "Gemütlichkeit" qu’exhale "Der Lindenbaum", la douleur intériorisée mais déchirante de "Frühlingstraum", et "Der Leiermann désincané", aux confins de la musique et du silence n’en sont que quelques exemples. Le pianiste Lowell Farr est le parfait alter ego de sa soliste, au même niveau d’accomplissement. Un témoignage essentiel, de plein droit historique. (Olivier Gutierrez)