 Lorsque Paavo Berglund révéla Kullervo à l’auditoire ébahi des abonnés de l’Orchestre de Bournemouth la partition dormait dans la poussière des bibliothèques depuis sa création. L’onde de choc produite par la révélation de cette œuvre-monde où toute la langue de Sibelius était enserrée dans une gangue dramatique dont le compositeur ne retrouvera jamais la complète perfection, resta pourtant sans effet. Le disque suivit, demeuré inégalé, seule version disponible longtemps avant que les années quatre-vingt-dix s’emparent vraiment de l’œuvre. Depuis tous veulent illustrer les aventures incestueuses et le destin tragique de cet antihéros, personnage secondaire du Kalevala mais figure inoubliable mise en valeur par Lönnrot. La plupart sont restés sur le seuil, sinon Neeme Järvi et Osmo Vänska dans sa première version à Göteborg (toute deux chez Bis). Il faudra désormais leur ajouter la lecture fulgurante de Thomas Dausgaard, qui enflamme son orchestre écossais aux couleurs si nordiques, aux timbres rocheux, aux cordes océaniques. Quelle poésie d’orchestre charrie ce torrent de sons, et quel vocabulaire subtil s’y déploie dans l’urgence du mouvement, comme ces pupitres attaques, comme la plus infime et anodine formule rythmique tend le discours, comme le sentiment dramatique et les arrière-plans d’une œuvre où des échos du bouillonnement de la vie musicale viennoise –Sibelius conçu sa partition au bord du Danube puis l’acheva en Finlande - alors dynamitée par Gustav Mahler colorent la langue harmonique du jeune-homme ! Sommet de la partition, le troisième volet où Kullervo séduira une jeune fille irrésistiblement attirée par lui contrairement à deux autres croisées plus tôt : sa sœur. Inceste terrible qui le poussera au suicide. Et là, Helena Juntunen règle une fois pour toute la question, railleuse dans le portrait fugace de celles qui se refusent, tragique, hantée dans l’incarnation de la sœur : ce chant ample et tendu où les mots mordent ne s’oublie pas. Face à elle Benjami Appl n’a ni la noirceur, ni le grain âpre des barytons finnois, mais il montre l’arrogance puis le désespoir du personnage comme aucun autre n’aura su le faire. Le chœur, tranchant, épique est l’un des plus beaux que le disque ait connu, Thomas Dausgaard lui confiant le rôle tragique d’un narrateur antique. Admirable version qui peut regarder sans ciller la perfection première de celle de Berglund à Bournemouth. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)  Composée pour soprano, baryton solistes, chœur d’hommes et orchestre, Kullervo est une fresque épique qui valut au jeune Sibelius, alors âgé de 26 ans, une notoriété internationale. La partition repose sur l’épopée nationale du Kalevala. Au cœur du récit, Kullervo est un personnage qui n’est pas sans rappeler l’Œdipe grec. La tragédie en cinq parties reprend les différentes époques de la vie du héros dans un mouvement d’une liberté de ton et de facture qui surprend. Sibelius s’inspire en effet de l’écriture des poèmes symphoniques de Liszt dont il colore la puissance avec son imaginaire nordique. Il accomplit ainsi une sorte de synthèse musicale entre les influences germaniques et russe (Tchaïkovski) tout en réalisant une œuvre d’une incroyable originalité. Sibelius renia sa partition de jeunesse dont il interdit l’exécution de son vivant. Thomas Dausgaard traduit la puissance hymnique de la musique, sa volubilité rythmique avec une passion de tous les instants. L’orchestre très coloré et la prise de son rutilante portent une lecture profondément physique et sensuelle. Elle vibre de toutes parts (la Jeunesse de Kullervo), jaillit dans des pulsations de danses (Kullervo et sa sœur). La finesse de l’orchestre et de la direction épatent tant l’énergie se déploie avec naturel et sans arrière-pensée. Les deux solistes ainsi que le chœur sont impeccables. Nulle raison de bouder cette gravure qui rejoint les rares versions de référence d’une œuvre peu jouée en dehors de la Finlande. (Jean Dandrésy)  While ‘Kullervo’ represents just the confident first step in Sibelius’s symphonic odyssey, it is also aviscerally exciting experience on its own terms—little wonder the first performance in 1892 was such a triumph for the young composer. An unmissable acquisition for anyone who knows only the numbered symphonies.
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