Surprenant récital : créée fin 1994, à partir d'un « divertimento », la suite de Penderecki a été constituée par adjonctions successives, et remodelée au fil du temps. Le Preludio, commandé par A. Noras, le violoncelliste du présent cd, n'est apparu qu'en 2013. La Sarabande, (au chant admirable et ludique à la fois) dédiée, plus tard, à la mémoire de J.S. Bach, fut réarrangée en 2000. Ce qui fut longtemps un work in progress est rarement donné au concert, et jamais en entier. Avant 2022, on n'en comptait qu'un seul enregistrement complet. Ce kaléidoscope musical, réfracté lui-même dans cette espèce de précipité synthétique qu'est son premier mouvement, est fascinant : toutes les techniques de jeu de l'instrument y sont exploitées, la richesse des couleurs, des rythmes y est prodigieuse et, de façon aussi paradoxale qu'ingénieuse chaque mouvement reste une entité autonome, tout en présupposant les autres, avec lesquels il entretient de subtiles affinités. Belle valse lente, raffinée, raréfiée et tamisée à la fois, suivie par un original allegro di bravoura, puis une aria construite par paliers faisant alterner le grave et l'aigu de l'instrument. Notturno décanté, qui peu à peu s'anime, puis se sublime… L'œuvre la plus récente, celle de Ryu, (ex-élève de Penderecki) dont la renommée internationale ne cesse de croître, donne, à la première audition, l'impression d'être, avec son lyrisme empreint de romantisme, la plus ancienne et la plus sage. Mais une pratique élaborée et raffinée de la subversion douce s'y fait sentir. Un langage neuf, un style personnel éclosent là, patiemment, sans heurt, de l'intérieur. L'opus 40 de Chostakovitch, composé à une période où s'annonce la terreur stalinienne , et « premier jalon du journal intime du compositeur » est abordé ici de façon sobre, directe, avec une sorte de pureté qui fait sentir de façon intériorisée et donc d'autant plus implacable, l'angoisse. On admirera, entre autres, le rendu dans le 3e mouvement du chant lugubre et dépouillé dans lequel. l'expression de la douleur est d'autant plus profonde qu'elle apparaît, à travers le jeu des interprètes, comme glacée. Remarquable réussite. (Bertrand Abraham)
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