 Le brilliant trentenaire et polymathe italien Emanuele Delucchi propose ici un florilège de l’œuvre pianistique de Leopold Godowsky (1870-1938), articulé autour de l’impressionnant massif des 53 Studies on the Etudes of Frédéric Chopin, composées entre 1894 et 1914, augmenté en outre de leurs secondes ou troisièmes versions pour la main gauche seule, ce qui porte l’ensemble à 60 études. La virtuosité de Godowsky résulte d’un mélange rare de digitalité et de cérébralité dont témoignent sa science contrapuntique, l’originalité de ses doigtés et son goût pour des harmonies aussi subtiles que surprenantes. Peu d’interprètes se sont lancés au disque ou au concert à l’assaut de cet Himalaya : Grante, Hamelin, Madge, Scherbakov, Libetta, et naturellement Delucchi sur un piano Steinway de 1906 parfaitement adapté aux desseins esthétiques de Godowsky ; d’autres en ont opéré des sélections : Berezovsky, Bolet, Beroff, Hobson, Ilic. On a pu juger ces méta-études comme l’expression d’une perversion décadente ; Godowsky s’en défendait en soulignant qu’elles avaient pour objectif d’améliorer les capacités physiques et mentales de leurs interprètes et pouvaient être pratiquées aussi bien en concert qu’en privé. Osons, pour comprendre, une comparaison : imaginons les études de Chopin à l’instar de la complexité d’un origami ; Godowsky a choisi de déplier cet origami et de créer, à partir du même matériau, un second ou troisième origami laissant toutefois entrevoir toutes les pliures du modèle initial. L’exercice est naturellement d’une redoutable difficulté, pimenté parfois par un sens inattendu du badinage, comme dans l’étude n° 47 qui combine l’op. 10 n° 5 et l’op. 25 n° 9 de Chopin, ou de l’espièglerie, comme dans l’étude n° 48 qui associe l’op. 10 n° 1 et l’op. 25 n° 3. La réussite du pianiste italien est ici aussi évidente qu’éclatante, signalée par d’élogieuses mentions dans Gramophone, Piano News, etc. À cet ensemble s’ajoutent les majestueuses 44 Variations en forme de Passacaille et Fugue que Godowsky élabora en 1927 sur le thème initial de la Symphonie Inachevée de Schubert ; cinq extraits de transcriptions de Lieder de Schubert, dans lesquels on saisit pleinement ce qui distingue Godowsky de Liszt ; quatre autres transcriptions de compositeurs variés (Richard Strauss, Bizet, Godard, Albeniz), illustrées précédemment par des pianistes aussi divers que le Backhaus des années de jeunesse, Cherkassky ou Abbey Simon ; les quatre Poèmes composés entre 1927 et 1931 ; et enfin la transcription de la valse Wein, Weib und Gesang dans laquelle Godowsky, au-dessus de Carl Maria von Weber, lance à Johann Strauss et Bach une invitation charmeuse à la valse. Ce magnifique coffret s’achève sur une bouleversante interprétation d’Alt Wien (1920) que Godowsky rédigea comme l’expression de la douce mélancolie des temps anciens qu’il éprouvait aux États-Unis après avoir dû quitter Vienne au début de la Première guerre mondiale. Voici un florilège hautement recommandé qui, de David Saperton (1889-1970), son gendre, ayant enseigné Bolet, Cherkassky, Simon, aux intrépides pianistes contemporains illustrant les innombrables facettes de la magie du piano, accrédite à bon droit l’inestimable apport de Leopold Godowsky à la littérature de cet instrument. (Jacques-Philippe Saint-Gerand) According to Leopold Godowsky (1870–1938), the aim of the Studien über die Etüden von F. Chopin “is to develop the mechanical, technical and musical possibilities of piano playing, to expand the peculiarly adapted nature of the instrument to polyphonic, polyrhythmic and polydynamic work and to widen the range of its possibilities in tone colouring…” Furthermore, the studies “are to be considered in an equal degree suitable for concert purposes and private study”. Godowsky employs various forms in his Studies on Chopin, including variations on the études, transcriptions for the left hand, free transcriptions (where the original is combined with another study, freely treated, inverted, etc.), cantus firmus (where the original right-hand part is played by the left hand, while the right elaborates contrapuntally), and metamorphoses (where the melodic and harmonic outline of the original is considerably modified). The magnificent C major of Study No.1 (based on Op.10 No.1) opens this extraordinary set: a mighty chorale (from the thematic lines of the original), the text of the original study in the left hand and its inversion in the right hand are all combined in order to create a polyphonic work in full pianistic tone. In the final pages, the piano seems to express its highest dynamic degree and, as Godowsky writes, “in the coda the player must not show the slightest sign of fatigue”. Also based on Op.10 No.1, Study No.2 is a perfect example of Godowsky’s left hand writing. A revolutionary use of the fingering and of the right pedal allows a polyphonic effect similar to the original. Godowsky wrote three studies (Nos. 23–25) for the left hand alone based on Chopin’s Op.25 No.1. Of these, No.24 is intended to give the impression of a piece for four hands: “If it is possible to assign to the left hand alone the work done usually by both hands simultaneously, what vistas are opened to future composers, were this attainment to be extended to both hands!” The rippling texture of No.25 is reminiscent of an Aeolian harp. The final study (No.43), based on Op.25 No.12, is a tour-de-force for the left hand alone, covering the entire range of the keyboard by itself in homage to Chopin's 'Revolutionary' Étude. Like Delucchi’s album Godowsky: Original piano works and transcriptions, this set contains a selection of original compositions and transcriptions of works by composers other than Chopin (disc 3) and was recorded on the Steinway D 1906 (from the collection of Marco Barletta and Alberto Mattarozzi). After restoration work done by Barletta and Mattarozzi, the mechanical capabilities of the instrument have been improved, but its characteristically warm and poetic sound has been preserved. This Steinway still remains one of the best choices for the music of Leopold Godowsky, the pianistic genius of the golden age.
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