 Je ne savais rien de Won-Sook Hur, elle a pourtant enregistré des Goldberg qui m’auront échappée, j’y reviendrais. Vienne fut le lieux de son éclosion, jeune coréenne débarquée dans la ville de Mozart, de Haydn. Elle y aura acclimaté son art, fait son piano aussi clair que plein, et finalement choisi Haydn. Graver toutes les Sonates n’est pas un pensum : le langage de Haydn y produit beaucoup de surprises, balançant entre Sturm und Drang et Classicisme, à l’égal des Symphonies. La pianiste regarde bien plus du coté du maitre de la forme que de celui de l’espressivo, sans que cela soit un défaut : jusque dans les ultimes Sonates la forme guide sa pensée, la clarté de son jeu, sa tempérance n’excluant pourtant pas le caractère. Elle parvient à force de subtilité à suivre pas à pas l’évolution de cette langue, qui, plus que celle de Mozart, offrira à Beethoven l’alpha de son univers. Cette subtilité est idéale pour les sonates médianes, elle gagnerait à laisser plus de place aux humeurs dans les ultimes, mais le geste est si impeccable, le propos si muri, et ce jeu de piano simplement si beau que j’applaudis : après le magister de Buchbinder, les aventures de John Maccabe, ce regard classique qui évite tout figé sera précieux à qui veut entendre ses Sonates de Haydn sur un piano moderne. Prise de son parfaite. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)  Depuis les années 1970 (Rudolf Buchbinder, John McCabe), on ne compte plus les intégrales des sonates pour clavier de Haydn. Tout récemment encore, Daniel Ben Pienaar (Clic Mag 120, AVIE2578) en a livré des interprétations de qualité. Il est vrai que la musique de Haydn, serviteur des princes, mais profondément libre d’esprit, est intensément singulière, humaine, vivante, spontanée. N’est-ce pas Haydn lui-même qui avouait : « À Esterháza, isolé du monde, je n'avais personne dans mon entourage qui pût me faire douter de moi ou me tracasser : force me fut donc de devenir original ». Cette originalité est particulièrement perceptible dans ces sonates, où la main gauche n’est plus réduite au seul rôle d’accompagnement de la droite mais ponctue et pimente les développements de celle-ci avec sensibilité et humour. Un humour qui devient vite une réponse salvatrice aux contraintes psycho-affectives et contractuelles, que connut le compositeur, et qui constitue presque une poétique musicale en soi, une signature stylistique. Aujourd’hui, après en avoir mûri le projet pendant cinq années et l’avoir rodé en récitals, c’est la discrète mais remarquable pianiste sud-coréenne et professeure à l’Université Hoseo, Won-Sook Hur, formée à Vienne et récipiendaire de nombreux prix internationaux, qui nous propose ses interprétations en tous points absolument remarquables de cette somme. Les sonates de jeunesse (1757-1765), celles marquées des tourments Sturm und Drang (1766-1773), celles de la période galante (1773-1779), celles empreintes du classicisme autrichien (1780-1790) et celles, enfin, de la seconde période Londonienne (1794-1795), sont toutes nettement caractérisées par la subtilité de son toucher, par la netteté de son articulation, son sens du rythme, son incroyable gamme coloristique qu’elle met au service des tendres inflexions, de la gravité parfois inquiète et des primesauts ironiques de Haydn. Prenez un sonate au hasard, prenez-en une autre, d’époque et d’atmosphère différentes : vous serez conquis par la lumineuse intelligence et l’alacrité spirituelle de ces interprétations et vous aurez l’envie de les découvrir toutes. Question : Et si, de manière inattendue, nous tenions là une version d’évidente référence, servie par une prise de son impeccable… La surprise n’en est que meilleure. (Jacques-Philippe Saint-Gerand)

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