Ex Tenebris ad Lucem Musique de pénitence à Venise au temps de la peste Blazikova

L'épidémie de peste qui frappe Venise de 1575 à 1577 tue un vénitien sur trois. Dans une intention qu'un théologien sourcilleux aurait dénoncée comme magique, le Sénat de la République Sérénissime demande l'aide divine du Christ Rédempteur en faisant le vœu de lui dédier une nouvelle église où le doge présiderait de grandes cérémonies chaque année où la cité serait épargnée. Et en 1577, Palladio commence l'édification de l'église de la Giudecca. De ces cérémonies pénitentielles sont issues les grandioses musiques d'Andrea Gabrieli (Venise, 1533 – Venise, 1585) alors organiste à la basilique Saint-Marc. En 1583, A. Gabrieli fait publier des psaumes de pénitence à 6 voix marqués par une écriture sobre, où les effets de madrigalisme sont pratiquement absents. Dans le premier de ces 7 psaumes, « Domine ne in furore tua » l'imitation contrapuntique n'est qu’un des différents moyens d'organisation de la phrase musicale. Gabrieli crée la variété musicale en choisissant de changer fréquemment de motifs mélodiques plutôt qu 'en cherchant à les exploiter de façon exhaustive. Il ralentit ou accélère le rythme à loisir. Giovanni Gabrieli ((Venise, 1557 – Venise, 1512) avait fui la peste sur recommandation de son oncle et maître Andrea. Son « Jubilate Deo », comme l’« Exaltabo te Domine » de Giovanni Battista Grillo (Venise, 1570 – Venise, 1622) sont deux motets de célébration pour remercier le Seigneur. Giovani Croce (Chioggia, Venise, 1557 – Venise, 1609), maître de chapelle à Saint-Marc après la mort, en 1590, de son maître Zarlino, mettra en musique un « Miserere mei », paraphrase par Bembo du psaume 51, ici interprété, avec une grande puissance émotionnelle, par les voix seules. Robert Kyr (né à Cleveland en 1952), compositeur, écrivain, réalisateur de films et pédagogue, résume ainsi le projet de cet album et de son morceau qui y figure : « Mon œuvre « Vigil : From the darkness to the light » juxtapose l'expérience de la peste de Venise en 1575-1577 à la pandémie mondiale de 2020-2022. Le choeur chante des extraits transformés de psaumes latins, basés sur des pièces d'Andrea et Giovanni Gabrieli (…) Cette musique du XVIème siècle, de plus en plus transformée par des interpolations et des modifications instrumentales, est juxtaposée aux brefs airs en anglais que chante la soprano soliste accompagnée par un cornet à bouquin, un violon, un violone et un orgue ; cette musique obsédante est exclusivement la mienne, un cri d'angoisse au milieu de notre tragédie universelle (Cette musique) fait fusionner le XVIème et le XXIème siècles dans une œuvre qui offre une lueur d'espoir pour un avenir plus prometteur et plus lumineux. » (Marc Galand)