La réalisation de ce CD d'œuvres pour violoncelle seul est, de l'aveu de l'interprète, étroitement liée à sa situation durant la pandémie. Le programme a donc une forte charge autobiographique et la notice est un touchant journal des relations d'Isserlis avec les compositeurs. Deux œuvres dominent : la 3e suite de Britten, l'une de ses pièces les plus intimes, alors qu'elle n'a, paradoxalement, rien de vraiment britannique, mais est nourrie d'éléments slaves : dédiée à un Rostropovitch persécuté pour avoir soutenu Soljenitsyne, elle ne put être créée qu'en 1974, deux ans avant la mort de Britten, et après que l'ami Slava eut été contraint à l'exil. L'œuvre, qui peut paraître énigmatique, révèle cependant dans sa Passacaille finale le « secret » de sa fabrication, en énonçant, successivement les 3 thèmes populaires russes empruntés à Tchaïkovsky, lesquels, disséminés et travaillés dans les mouvements qui précèdent, informent ceux-ci en profondeur, tout comme le Kontakion, hymne funèbre de la liturgie orthodoxe. Suite marquée par la mort, donc. Noble et poignante, elle est servie avec simplicité, gravité, tenue et sublime retenue. Second moment fort : la suite dans le style du XVIIIe siècle de Merrick, qui obéit de façon stricte tant à l'ordonnancement de la suite baroque, qu'à sa syntaxe et à sa rhétorique. Page « anachronique » donc, mais admirablement écrite et qui procure un véritable bonheur esthétique. On saluera aussi la passacaille de Walton, également écrite pour Rostropovitch, et la façon dont, calme et large au début, elle s'anime et s'agite peu à peu, pour s'effacer avec une discrétion extrême tel un chat disparaissant sur la pointe des pieds. Très beau récital d'un immense interprète anglais, trop ignoré en France. (Bertrand Abraham)
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