Aujourd'hui, auditeurs passionnés par l'écoute des oeuvres de J.S. Bach de ses prédécesseurs germaniques ou d'autres écoles de l'époque baroque, nous pouvons ignorer ou avoir perdu la fréquentation d'un style d'instruments élaborés dans la seconde moitié du XIXème siècle, selon une toute autre esthétique sonore, faite de timbres plus épais, alliant une pâte plus sombre , avec des effets vaporeux, ou d'autres jeux aptes à évoquer de caverneux orages. Cette mutation assez radicale de la facture d'orgue et l'engouement qu'elle suscita gagnèrent quasiment toute l'Europe. On qualifie généralement cette facture instrumentale de « Romantique-symphonique ». Aristide Cavaillé-Coll en fut en France le principal représentant. Comme toujours, le style des compositions se mit en symbiose avec les ressources de ces nouveaux instruments. Oubliés Chorals, Préludes ou Toccatas et Fugues, les organistes et compositeurs s'abandonnèrent aux extases langoureuses aux épanchements sentimentaux, aux accents guerriers ou aux tempêtes rageuses. L'orgue sortit des églises pour s'installer dans les salons, les salles de spectacles, et les salles de cinéma au début du XXème siècle. Lefébure-Vély, du haut de sa tribune de La Madeleine à Paris, n'hésita pas à servir ce style de musique au cours ou à la fin des offices religieux et il en fut récompensé d'une grande célébrité. Le bel canto opératique devint le modèle et donna lieu à tous les débordements de la sensiblerie pieuse ou à l'imagerie sulpicienne. Une musique aussi sombre que les églises du temps s'éleva des massifs instruments, habitée par la crainte du châtiment éternel, mais elle pouvait aussi prendre les accents gouailleurs que l'orgue de barbarie faisait entendre dans les fêtes foraines. C'est dans cette esthétique que s'inscrit l'abondante production du célébrissime, en son temps, organiste, compositeur et pédagogue Marco Enrico Bossi, décédé en 1925 au cours d'une traversée entre New-York et Paris. Les deux CD du volume XV de l'intégrale de son oeuvre pour orgue qu'a entrepris d'enregistrer le label Tactus, comportent d'abord une série de six transcriptions d'oeuvres célèbres parmi lesquelles on rencontre Nicolo Paganini, Félix Mendelssohn ( La Fileuse des Romances sans paroles ) et Modeste Moussogski ( Le Vieux Chateau des Tableaux pour une exposition) . Viennent ensuite dix huit oeuvres de Bossi dans lesquelles des voix de soprane, de mezzo ou de ténor ou encore du violon et du violoncelle viennent se mêler à celles de l'orgue. Ce style d'écriture musicale, comme ce type d'instrument ne suscite plus l'engouement qu'il connaissait à son époque. Un certain caractère « kitch » l'éloigne irrémédiablement, je crois, de nos sensibilités. Dès lors, cette intégrale présent surtout un intérêt un peu muséal. Andréa Macinanti a choisi d'interpréter les oeuvres figurant sur ce volume XV de l' intégrale, sur des instruments italiens contemporains des compositions de l'auteur, ceux de l'Institut dei Chiechi de Milan, de l'église des saints Nazaire et Celso de Mantoue, de la cathédrale de Saluzo, et de l'église de tous les saints d'Udine. Ses registrations montrent une longue familiarité avec la musique de Bossi et une connaissance intime de ce corpus qu'il sert avec une maitrise parfaite de son style. (Alain Letrun) With this double CD, the world premiere recording of Marco Enrico Bossi's complete organ works, undertaken by Andrea Macinanti over 10 years ago, finally comes to an end. The dutifultribute to one of the great and forgotten composers of Italian twentieth century organ music ends- like the rest of the series - with the use of a series of historical instruments that fully document the musical aesthetics of the great organist. The repertoire includes a series of transcriptions of famous pieces by great authors of nineteenth-century Europe, vocal and instrumental pieces with the original accompaniment of the organ, and some interesting unfinished organ fragments, completed for the occasion by Maestro Paolo Geminani.
|