1948, Grazyna Bacewicz met le point final à un triptyque pour cordes dont chaque mouvement est d’une durée (quasi) identique. L’œuvre semble se tourner vers le passé du compositeur, Allegro initial suractif, plein d’attaques et d’envols, final impertinent, pimenté, qui caracole, et au centre une musique nocturne saisissante, un Andante avec une lune pâle où chante un violoncelle, un des plus beaux instants de musique qui ait jamais coulé de sa plume, regard en arrière nostalgique porté par des harmonies moirées. Magique instant, qui suffit à faire de ce Concerto – et concerto il y a en effet, pas seulement en référence au concerto grosso, modèle pris par tant de compositeurs, de Stravinsky à Martinu en passant par Hindemith – le chef d’œuvre de ce disque impeccable. Lukasz Blaszczyk et sa belle bande y débusquent à chaque mesure la poésie comme l’élan encore juvénile, ils trouveront, également le ton plus uniment néoclassique de la Sinfonietta de 1938, la délestant de son motorisme, lui donnant une fantaisie supplémentaire. La Symphonie de 1946 est plus ambitieuse, avec son écriture savante qui arde des souvenirs de danses des Tatras, son alacrité dans les mouvements vifs, une sorte de furioso continu un peu beethovénien. Là encore le mouvement lent, un Adagio désolé, funèbre où passe encore l’ombre de la guerre, élargi le cadre, élève le discours avant un Allegretto lui aussi un peu nostalgique dans ses couleurs adamantines. Un Thème et Variations commencé sotto voce rappelle de quelle maitrise formelle la jeune femme était capable, se jouant des canons avec une virtuosité dont l’ironie n’est pas absente, ce que les interprètes suggèrent avec élégance. Le ton décidé et l’écriture absolument néoclassique du Divertimento avec son petit groupe de solistes qui concertent ou aiguillonnent l’ensemble laissent penser qu’en 1965, et à quelques brèves années de sa mort, le style de Grazyna Bacewicz s’était enfin ancré assez loin des flamboiements de ses premiers opus, du théâtre lyrique de ses sublimes Concertos pour violon. Qui sait vers où elle serait allée si la mort ne l’avait prise si tôt, bridant son génie. (Jean-Charles Hoffelé) La compositrice polonaise Bacewicz débuta une carrière de violoniste virtuose avant de se consacrer à la composition dès 1955. On est tout d’abord frappé par sa forte personnalité car elle a assimilé, dans sa production, la plupart des courants du 20e siècle, allant de Szymanowski à la musique polonaise contemporaine des années soixante (Penderecki, Lutoslawski, notamment) en passant par l'influence des hongrois Bartok et Ligeti. Bacewicz fut avant tout une coloriste, aimant décomposer l'orchestre en petits ensembles. Ses œuvres y compris dans les pages les plus virtuoses pour cordes, baignent dans des couleurs automnales et une nostalgie marquée par une harmonie complexe. Les quatre œuvres réunies dans cet album présentent un répertoire pour cordes seules, qui fut profondément inspirant pour nombres de compositeurs de l’après Seconde Guerre mondiale. L’interprétation du Primuz Chamber Orchestra manie avec une grande fluidité à la fois la poésie et l’ironie de ces quatre pastiches néoclassiques. Les partitions - datées de 1935 à 1965 – témoignent également d’une évolution stylistique. Pièce la plus tardive, le Divertimento – titre dont il n’est pas précisé qu’il soit en lien avec la pièce éponyme de Bartok – apparaît presque comme une œuvre testamentaire. D’un grand lyrisme, elle se déploie avec un sens exacerbé du rythme et des couleurs dignes du maître hongrois. Lukasz Blaszczyk et le Primuz Chamber Orchestra exploitent au mieux la densité expressive de cette musique qui s’achève par un Giocoso… dramatique ! (Jean Dandrésy)
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