Pour son quatrième volume de l’intégrale de l’œuvre du musicien hongrois (après les deux concertos pour piano), Martin Roscoe réunit trois grands cycles. La virtuosité et la clarté du jeu délié du pianiste mettent en valeur les Six Etudes de concert dont il s’éloigne avec justesse de la pure dimension pédagogique. De fait, certaines tirent leur influence de Brahms et d’autres, comme la Troisième, d’un Rachmaninov. L’écriture oscille en permanence entre le classicisme formel et un élan postromantique qui est porté par une prise de son charnue. Martin Roscoe avait déjà gravé pour ASV, la Suite dans le Style ancien dont on peut s'étonner de l’incursion "baroquisante" pour piano seul dans un monde chambriste post-brahmsien. Il faut imaginer l'expressivité de la musique baroque telle qu'elle s'imaginait au début du siècle : l'adaptation romantique et virtuose à la fois des principes de successions de danses. Mendelssohn, Schumann et Brahms résonnent dans ces pages. Les Six Pièces datées de 1945 tentent d’oublier l’évolution dramatique de l’Histoire et des esthétiques. Rêveuses, bucoliques, humoristiques, elles sont écrites avec une indicible nostalgie que Martin Roscoe traduit avec beaucoup d’élégance. Les deux partitions qui complètent ce récital enchantent. Prouesse du contrepoint, la Passacaille pourrait se transposer au grand orgue alors que le Rondo alla Zingarese est tout simplement l’arrangement du finale du Quatuor pour piano n° 1 de Brahms. Une belle intégrale qui complète les témoignages que le compositeur grava entre 1929 et 1956. (Jean Dandrésy) Ernö von Dohnanyi fut un pianiste de première grandeur, ses enregistrements beethovénien ou mozartien font entendre le grand son de son clavier, la puissance de ses conceptions, la beauté classique de ses phrasés. Compositeur majeur du post-romantisme hongrois, il composa d’abondance pour son instrument, ses Etudes plus proches de Schumann que de Chopin explorent chacune une des difficultés pianistiques, m’en voudra-t-on de les tenir pour aussi brillantes que vaines ? Le génie du piano de Dohnanyi est ailleurs, à commencer par les caprices baroques, délicieusement ouvragés, de la Suite dans le style ancien, écrite au bord du précipice de la Première Guerre Mondiale : derrière le giocoso et les fantaisies, une certaine tension parait, que Martin Roscoe saisit avec finesse : sa Courante nerveuse est un modèle. La Suite rappelle que le retour vers le baroque fut une constante chez Dohnanyi : à la quasi fin du disque la sombre Passacaglia l’amorce, partition géniale d’une jeune-homme qui n’avait pas encore vingt ans, et dont Martin Roscoe fait chanter l’incroyable palette automnale. A la fin de l’autre guerre, Dohnanyi écrira son chef d’œuvre pianistique où rode l’ombre de son fils Matthew mort dans un camp de prisonniers en Union Soviétique : les Six Pièces op. 41 se terminent sur un jeu de cloches sinistres, glas que Martin Roscoe fait résonner avec grâce, allégeant ce chant funèbre d’une poésie infinie. Il referme le dernier album de cette intégrale dont je crois bien n’avoir pas entendu les volumes précédents par le Rondo alla Zingarese d’après le final du Quatuor avec piano n°1 de Brahms, rappelant que Dohnanyi ne cessa jamais d’appartenir à l’Empire Austro-hongrois, à ce « Monde d’hier » dont Stefan Zweig aura prononcé l’éloge funèbre. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé) With this fourth volume—a collection in which Dohnányi pays homage to the styles and traditions of his great composer-pianist predecessors— Martin Roscoe brings his complete survey to a dazzling conclusion.
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