Ce CD me semble constituer à tous égards un paradoxe en soi. Il se signale à nous, visuellement, par une apparence poussant l'esthétique jusqu'à la perfection. Son titre se présente sous les dehors d'un sceau ou d'un logo sursignifiant, puisque le signifiant y mime et y épuise en quelque sorte le signifié : la disposition typographique des caractères qui forment le mot" VIS-À-VIS" n'est autre qu'une représentation matérielle de ce vis-à-vis. Il y a là en un sens quelque chose de vertigineux, de fascinant, qui n'est pas sans faire penser aux dispositifs anciens d' un Athanase Kircher, ou, plus près de nous, aux dessins de Escher dans lesquels des plans géométriques opposés (haut/bas) se correspondent, s'équivalent et de confondent. La disposition des noms, la beauté des clichés photographiques frappent dans ce bel objet, poli et distingué sous toutes ses facettes. Le look est sublime. Et la fascination ne s'arrête pas là. Sur le plan sonore, l'auditeur est subjugué, ébahi, aux anges, c'est le cas de le dire. Rien a été laissé au hasard, tout fait sens dans le même sens. un pur miracle d'harmonie, Tout se reflète en tout, et semble offrir un emboîtement à la gloire de la symétrie, d'une géométrie sonore abolissant les différences dans une unité sublime qui et c'est la le paradoxe, repose sur des différences minutieusement réglées à tous les niveaux. La notion de vis-à-vis est, semble-t-il, au coeur même des oeuvres, à commencer par celles pour violon choisies ici, et d'abord, dans le principe de la « scordatura» dont Biber ou Pachelbel ont usé, en tant que dé-règlement produisant une "nouvelle harmonie", de nouvelles harmoniques, une nouvelle sensibilité au sonore. Cette expression "vis-à-vis" ou "face à face" (seule expression en français dans une notice par ailleurs non traduite) fonctionne ici comme un véritable concept musicologique (ambitieux et selon moi prétentieux et plus "creux" que plein) censé rendre compte d'une révolution musicale ayant touché l'Europe baroque à tous les niveaux : facture des instruments, acoustique dans tous ses aspects (jusque dans la question de la disposition des instruments dans l'espace, ce qui en termes techniques modernes se traduit ici par une prise de son prodigieusement étudiée et qui tient du miracle). Jamais je n'ai entendu Biber ainsi. C'est trop divinement beau... Le choix d'un choral de Pachelbel usant de la variation s'inscrit lui aussi dans cette optique sonore du "vis-à-vis" et du face à face. Lisibilité, équilibre, plénitude, béatitude sont ici partout. En tous sens et sollicitant tous les sens. On pense, pour trouver des analogies modernes et visuelles, à Vasarely ou Mondrian. Ça fonctionne trop bien : tout est parfaitement abstrait et comme glacé au bout du compte.De plus l'agencement des œuvres pose problème. Mystère du rosaire, (Biber) réflexions musicales sur la mort (Pachelbel) : ce sont là des œuvres, dans lesquelles la partie appelle et présuppose le tout, même si par ailleurs il est question de "récréation musicale" et donc de dispersion, de plaisir. Mais on n'échappe pas quelque part à l'idée qu'on écoute ici une sorte de compilation un peu trop démonstrative, des échantillons de perfection... (Bertrand Abraham) Comme il était de coutume au 17e siècle, les musiciens se positionnent dans l’espace pour qu’on puisse ressentir les rapports entre les différents instruments de la manière la plus expressive qui soit. Depuis plus de dix ans, Georg Kallweit, chef d’orchestre et soliste de l‘Akademie für Alte Musik Berlin, et ses compagnons Tabea Höfer, Walter Rumer et Leo van Doeselaar mettent en œuvre des concepts musico-spatiaux hors des sentiers battus. Ces quatre musiciens, forts de leur succès international, interprètent des œuvres caractérisées par l’utilisation de l’ostinato et des variations avec et sans scordatura. Heinrich I. F. von Biber, Johann Pachelbel et également Johann Sebastian Bach modifiaient quelquefois les accords habituels du violon dans leurs compositions afin de transformer le son de manière mystérieuse. Découvrez une pratique concertante historique que l’Ensemble Urban Strings ressuscite avec beaucoup d’enthousiasme et de joie musicale. As was customary in the seventeenth century, the musicians positioned themselves in the room in such a way that the relationships between the individual voices could be clearly experienced. Georg Kallweit, concertmaster and soloist of the Akademie für Alte Musik Berlin, and his fellow musicians Tabea Höfer, Walter Rumer, and Leo van Doeselaar have been known for exceptional spatial sound concepts for more than ten years. The four internationally successful instrumental soloists interpret ostinato and variation works with and without scordatura. In their compositions, Heinrich Ignaz Franz von Biber, Johann Pachelbel, and also Johann Sebastian Bach at times changed the usual tuning of the violin in order to alter the timbre in a mysterious manner. Experience historical performance practice revitalized by Ensemble Urban Strings with an unbridled joy of making music.
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