 Le croiriez-vous ? Cette soirée du 23 janvier 1974, heureusement préservée par les micros de l’ORF est la création viennoise de "Luisa Miller" ! Pourquoi si tard ? En cause le rejet épidermique de la critique allemande pour les adaptations verdiennes des drames de Schiller et de Shakespeare, qui influencera longtemps les directions de théâtres germaniques et un certain public. Une petite quarantaine de représentations depuis, c’est peu pour Vienne, mais Paris ou New York ont-ils vraiment mieux servi cette œuvre de transition, influencée par le belcantisme et le romantisme schubertien, et éclipsée par la trilogie populaire Traviata – Rigoletto – Trouvère qui la suit ? Distribution exceptionnelle pour cette création : peu présente au disque, Lilian Sukis fut pendant 20 ans membre de la troupe de l’Opera d’Etat de Bavière. Elle est une Luisa idéale par son intelligence dramatique et son instrument souple et virtuose. Les scènes lyriques sont depuis plusieurs décennies monopolisées par de fausses gloires, ténors hurleurs ou barytons montés. Il faut donc réécouter l’incontrôlable Bonisolli pour comprendre ce qu’est un authentique tenor. Emission jamais forcée, projection virile, timbre sensuel, il phrase son aria à l’archet, et on l’aime même pour ses portamenti et ses aigus ajoutés a piacere. Christa Ludwig fait de Federica plus qu’une sihouette, Taddei est incomparable dans son personnage de de père noble et blessé, qui préfigure Germont. Malcolm Smith est démoniaque en Wurm. Vu l’enjeu, Erede aurait dû enflammer le Philharmonique de Vienne. C’est hélas service minimum. Il s’en est fallu de peu que cette soirée de plein droit historique se hissât au sommet de la discographie de cet opéra mal aimé. (Olivier Gutierrez)  Vienne vit assez tard "Luisa Miller", malgré son sujet emprunté à la pièce de Schiller : 1974, alors que l’ouvrage connaissait une certaine renaissance de l’autre coté des alpes, et que le disque s’y intéressait, Anna Moffo, pionnière souvent, puis Montserrat Caballe, s’y risquant, Rudolf Gamsjäger y assemblant une distribution italienne dans laquelle se glissa Christa Ludwig, trop heureuse de pouvoir se saisir des quelques mots de Frederica. Cast parfait, l’or pur de Bonisolli pour Rodolfo, Taddei en père Miller, Giaiotti en Walter et un formidable Wurm, sadique et bien chantant, Malcom Smith qui sera pour ceux qui ne le connaissent pas une révélation. Mais qui pour chanter Luisa, la sacrifiée ? Lilian Sukis. Née à Kaunas, naturalisée canadienne, elle était plutôt connue pour ses Mozart, voix pure, élégance folle en scène, une beauté, et dans mon œil, dans mon oreille un des plus émouvante Comtesse Madeleine que j’ai vue et entendue surtout. Cette "Luisa Miller" viennoise, conduite très lyrique, très « pour le plateau » par Alberto Erede si aimé à l’Opéra de Vienne où il régna des années durant sur le répertoire italien, est au fond une merveille des archives du Staatsoper, méconnue. Tous y font le drame serré et humain à la fois, Sukis campant une héroïne d’une folle jeunesse, soignant l’idéal d’un belcanto encore un peu donizettien, à la limite de ce que son instrument lyrique pouvait. Mais dans la supplique à Wurms, il faut l’entendre fendre l’armure pour faire paraitre le personnage, exprimer le dilemme : « a dir lo io fremo » vous troublera l’âme, et Mozart autant que Donizetti dans la vocalise pour clore l’air, l’art suprême d’une artiste en quelques mesure comme seule la scène peut le montrer. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)

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