Avec Paganini pour le violon, et Liszt pour le piano, qui s’inspira du précédent, le XIXe siècle vit s’effacer les limites instrumentales connues jusqu’alors. Aujourd’hui, on ne compte plus les enregistrements des Études d’exécution transcendantes du second qui révèlent la dramaturgie et la poésie de ces pièces au-delà des seuls efforts de pyrotechnie digitale, et des Caprices du premier qui ne sont souvent que prétextes à une folle virtuosité d’archet et de doigts... Usant de cordes en boyaux et d’archets originaux de la fin du XVIIIe ou du début du XIXe siècle et approfondissant l’esthétique du jeu parlant (« suonare parlante ») promue par un Paganini, concertiste excentrique, libéré en son temps des contraintes sociales du musicien classique, Laura Andriani fait le pari de restituer un ensemble de pièces théâtrales, imitatives, improvisées, et ludiques, avec un violon qui joue, qui danse, qui soupire, qui rit…. En recourant dans sa recherche aux mouvements d’époque de la main gauche sans pratiquer les changements de position traditionnels, elle démontre à la fois l’efficacité de la technique de Paganini et son ingéniosité au service d’un langage musical fondé sur l’agilité et l’aisance. Les diableries, non ignorées au reste, laissent alors place à une dramaturgie inattendue qui nous ravit en mettant en place sur scène quantité de personnages volubiles, pittoresques et surprenants. Je pourrais alléguer ici quantité de numéros déjà caractérisés par des intitulés postérieurs à la première édition de ces Caprices (1819), « La Chasse » n° 9 en mi majeur, ou « Le Rire du diable » n° 13 en si bémol majeur, par exemple, mais un des plus remarquables est sans doute le n° 20 en ré majeur, qui met ici en opposition saisissante un violon des champs, rustique, agreste, aux allures de musette, et un violon des villes, policé, à la virtuosité « Tartinienne » et mondaine, qui laisse cependant au premier, non sans un humour contestataire eu égard aux origines sociales de Paganini, le mot de la fin. Un pari audacieux parfaitement réussi par une violoniste de grand talent et qui mérite une reconnaissance particulière. Cessons de voir uniquement Paganini sous ses allures de batteur d’estrade. (Jacques-Philippe Saint-Gerand)
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