Son cycle Da Ponte avec le Concertgebouw pour Teldec, début des années quatre-vingt-dix, faisait entendre la « différence Harnoncourt », tempos, accents, timbres, ce qui se voulait une révolution dans les Symphonies ou la Musique d’Eglise buttait contre le théâtre moderne qu’inventait ici Mozart. Même aidé de chanteurs inspirés, la trilogie ne se fit pas la place espérée dans une discographie que d’un côté Charles Mackerras, de l’autre Riccardo Muti, renouvelaient avec un tout autre sens du théâtre. Las, les amoureux d’Harnoncourt chez Mozart se consolaient avec Idomeneo, Mithridate, La Clemenza, tout ce qui chez l’auteur des Nozze ne regardait pas le théâtre de son siècle, quel paradoxe ! Finalement, après bien des hésitations, Nikolaus Harnoncourt décida de remettre la Trilogie Da Ponte sur le métier. En 2014 le Theater an der Wien lui offrait sinon une mise en scène, du moins une sage mise en espace, chacun de protagonistes plus ou moins rivés à son pupitre, les simulacres d’action ne quittant guère le proscenium. Peu importe, Harnoncourt retrouvait son Concentus Musicus, et un théâtre avec du public (et zélé, applaudissant, soutenant), s’entourait d’une équipe de jeunes gosiers où quelques chanteurs chevronnés (Bo Skovhus, Christine Schäfer, Elisabeth Kulman) seraient leurs guides, le miracle serait-il possible ? Non. Le geste même d’Harnoncourt s’était raidi, ses principes, sa science, son expertise semblant lutter précisément contre ce Mozart frère de Beaumarchais et de Marivaux. En cela, les Nozze sont un pur naufrage, et dépareillée par une troupe de chant incertaine : la Comtesse de Schäfer s’effondrant autant devant le legato du « Porgi, amor » que face à la vocalise du « Dove sono », Bo Skovhus disant son rôle plus que le chantant. Embarrassé par les tempos, la Suzanne légérissime de Mari Eriksmoen perd tous ses charmes surtout face au Figaro déluré d’André Schuen, qui, lui, ferait bien presser le tempo. Mais du moins les buffo s’en sortent-ils, quitte à risquer la caricature ; la céruse se voit jusque dans le timbre décati d’Ildiko Raimondi, mais quelle incarnation ! Et Cherubino ? J’y reviendrai… Sinistre, Don Giovanni aurait peut-être raison de l’être, Harnoncourt y voyant un drame qui s’abstrait de tout giocoso. Cette grisaille, le Don d’André Schuen l’épouse pour le meilleur, en cohérence avec la vision du chef, c’est pour lui qu’on risquera l’écoute (plutôt que le visionnage, effrayant de platitude), un peu pour le Don Ottavio de Mauro Peter, plus révolté que lyrique, mais les femmes ! La tête d’épingle d’Eriksmoen pour Zerline (qui veut du grave, de la pulpe, souvenez-vous de Berganza !), Schäfer que les premiers mots de Donna Anna épuisent illico, Maite Beaumont dont on peut sauver l’Elivira plus intéressante par le personnage que par la vocalité. Harnoncourt enterre l’opéra, battue pesante, récitatifs sentencieux, l’ennui gagne avant la damnation, tout le deuxième acte se traîne jusqu’au banquet, et vraiment ne pas avoir osé la version de Prague…. Reste Cosi fan Tutte. Qui a dans l’oreille Cantelli, Busch, ou Böhm, vomira dès l’ouverture. Qu’il se retienne et écoute. Oui, le poids des mots dans les récitatifs aurait fait bondir Da Ponte, scorie commune à bien des productions depuis le XXIe siècle, qui entend pour les imbéciles souligner ce que tout un chacun comprends dans le mouvement naturellement vif de l’allusion. Mais Harnoncourt est comme pris au piège des complexités psychologiques du livret de da Ponte. Cette fois la posture ne peut suffire, il faut bien concéder au génie, espérer cependant à tirer quelques ficelles, mais accepter que cette fois Mozart soit le dominant. Harnoncourt prendra son temps, certes, mais les personnages dévorent sa rhétorique, comme si plutôt que le mouvement général des Nozze, qu’il pouvait encore briser, cette fois les caractères dramatiques, la finesse psychologique, l’immanence perpétuelle du gicoso le convainquaient de laisser là son projet pour écouter ses chanteurs. Et cette fois le tirage est gagnant, même pour la Fiorgdiligi de Mari Eriksmoen (son « Per Pieta » est émouvant), avec une belle Dorabella (Katija Dragojevic), un trio masculin épatant (Schuen, Peter, le Don Alfonso inattendu de Markus Weber). Alors si vous voulez y aller d’abord entendre (et accessoirement voir), commencez par Cosi fan tutte, et traquait chaque note d’Elisabeth Kulman, incroyable dès qu’elle est en travesti, ici en notaire, dans les Nozze en Cherubino. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé) “He was out to create something ‘unheard-of’,” observed conductor Nikolaus Harnoncourt beforehand. And true to form: What the conductor had to offer as he commenced his Mozart/Da Ponte cycle in the Theater an der Wien was something we “had never before heard like this” (Kurier). Nikolaus Harnoncourt, “master” of period performance practice, realized a project that had long been one of his dearest wishes: for the first time, he and his “original-sound orchestra” Concentus Musicus and his personal choice of singers were presenting the complete Mozart/Da Ponte cycle and harvesting the fruits of his Mozart research – an “enthusiastically acclaimed cycle!” (news.at). During an intensive phase of rehearsal and preparation, he was in search of a Mozart hermeneutic resting on historical sources and yet anchored in our own time, in order to stage the whole Da Ponte “trilogy” – Le nozze di Figaro, Don Giovanni and Così fan tutte – in a matter of a mere six weeks. Harnoncourt has once again lived up to his name as a “Mozart rebel”: “True to his reputation as a provocateur, Harnoncourt takes at a fast speed what we are accustomed to hear slow, while reining in what we expected to be lively” (Forum Opera).
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