Ce disque est un régal. D’autres ont déjà rendu compte ici et ailleurs de l’intérêt de l’enregistrement : œuvres rares qui montrent que Mendelssohn enfant composait bien plus que de la musique d’imitation (sonates op. 4 et Q7), et que devenu jeune homme il n’avait pas abandonné son intérêt pour le couple violon-piano (fragment Q18 et sonate Q26). Mais tout ça ne serait rien sans le talent des interprètes. Alina Ibragimova chante, plutôt qu’elle ne joue, ces œuvres qu’il ne faudrait pas faire plus grandes et sérieuses qu’elles ne sont (révérence gardée à leurs modèles classiques, beethovénien ou autres). Parfois elle fredonne comme pour elle-même (voir la coda de l’adagio de la sonate Q26), parfois elle chante à tue-tête, non pas comme une chanteuse lyrique mais comme un enfant plein de joie de vivre (presto de Q7, allegro agitato de l’op. 4) : jamais un effet appuyé, aucun dramatisme surjoué, tout est d’une légèreté de touche et d’une finesse confondante. Si Cédric Tiberghien fait une entrée un peu fracassante dans la sonate Q26 il est plein de tact partout ailleurs, donnant une preuve de plus de l’entente du duo, connue et saluée depuis longtemps dans un vaste répertoire. A ne pas manquer ! (Olivier Eteradossi) De Mendelssohn on ne connaît officiellement que la Sonate pour violon et piano en fa mineur op. 4 de 1823, dédiée à Edouard Rietz. Le premier intérêt de cet enregistrement est de corriger cette regrettable lacune en donnant accès à des pages énigmatiquement laissées en suspens par le compositeur, mais toutes également marquées par la virtuosité pianistique et violonistique de Mendelssohn ainsi que par son génie créatif. La Sonate en fa majeur de 1838 (MWV Q26), découverte par Yehudi Menuhin en 1953, mais qui dut attendre 2009 pour bénéficier d’une édition philologique assurée, se signale par son exubérance et sa maîtrise formelle. Entre réminiscences des Lieder ohne Worte et fascination paganinienne du Perpetuum mobile final, on appréciera ici l’engagement profond du violon d’Alina Ibragimova et du piano parfois un rien impérieux - prise de son ? - de Cédric Tiberghien. La Sonate en fa majeur de 1820 (MWV Q7) est assurément une œuvre de jeunesse qui, par son obédience tempérée d’originalité personnelle, ne cherche toutefois aucunement à cacher le classicisme que Carl Friedrich Zelter (1738-1832) enseignait au jeune garçon : le finale n’est-il d’ailleurs pas modelé sur le thème principal du Rondo final de la 102e Symphonie de Haydn ?... Enfin le fragment en Ré d’une Sonate inachevée en 1820, par ses proportions et son dramatisme, laisse percevoir l’influence de la prodigieuse Sonate à Kreutzer, op. 47, de Beethoven (1802-1805) qui pourrait en avoir été le modèle pour un Mendelssohn de onze années… On ne saura jamais quelles furent les causes sinon les raisons de cette troublante interruption. Mais, si vous ajoutez à l’intérêt musicologique l’incontestable et subtil autant que brillant talent des deux interprètes, depuis longtemps à l’écoute l’un de l’autre, vous aurez là les ingrédients d’un enregistrement remarquable et parfaitement réussi. (Jacques-Philippe Saint-Gerand) L’effervescence, voilà bien le maitre mot de l’Allegro vivace qui ouvre la Sonate en fa majeur, piano comme un cœur qui s’emballe, violon chantant à perdre haleine, tout le Mendelssohn solaire est enclos en ces pages comme dans le piano vif argent de Cédric Tiberghien et l’archet passionné d’Alina Ibragimova. Quel duo ! Après leurs impressionnant parcours Mozart, complétissime, pour le même éditeur, voici qu’ils explorent chaque note que Mendelssohn aura écrite pour leurs deux instruments ensemble. Cela ajoute une Troisième Sonate et le fragment d’une Quatrième, torso de 367 mesures affichant bien des promesses restées en suspens dès son début magique, pianissimo, imposant une atmosphère de crépuscule où l’archet fluté d’Alina Ibragimova se fait rossignol sur l’onde silencieuse du piano. Merveille ! tout comme la Sonate de jeunesse elle aussi en fa majeur comme la grande, joueuse, impertinente, bavarde, capricieuse, que les deux amis s’amusent à aviver à force de piques et d’échanges savoureux. Album parfait, qui vient régler la question de la discographie, pas si courue que cela (bien moins en tous cas que celle des Sonates pour violoncelle), d’un corpus soudain sensiblement augmenté, mais vous commencerez d’abord par les deux grandes Sonates repérées, relues d’une façon si singulière par un duo qui devrait se pencher sur les Sonates de Grieg dont l’imaginaire si fécond les espère. (Jean-Charles Hoffelé)
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