 Révéler Louis Couperin, compositeur de la 2e génération de la dynastie, oncle de François « le Grand », et dont l'œuvre a été peu enregistrée. Le révéler non tout à fait « tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change », car même pour ce contemporain du Grand Siècle, le mot « éternité » est un peu pompeux. Le révéler plutôt comme on révèle une photographie, avec la fraîcheur et la surprise qui saisit quand on la fait naître, ou comme le miroir illustrant la notice du CD reflète la paume et la face interne des doigts du pianiste, tandis que son corps semble juste s'esquisser, s'excuser et presque s'absenter. Cette image nette et évanescente, brillante et pourtant emprunte d'une subtile matité est la métaphore même de la révélation sonore qui nous est ici offerte. « L'équilibre délicat entre ce qui vient du passé et ce qui vient du présent me semble tout à fait essentiel dans la pratique musicale. Voilà sans doute pourquoi j'en suis arrivé à enregistrer Louis Couperin sur un Yamaha » déclarait l'interprète en 2018. Dans ces danses dont « l'ordre est choisi en fonction de la structure dramatique et de l'accroissement de la tension », le ton intime et familier de la confidence est présent jusque dans les vivacités et les éclats, les replis et les moires d'un pianisme supérieurement « dialogique » (comme aurait dit Bakhtine) : sobre, voire dépouillé et pourtant toujours plein, sous lequel se décèle secrètement, exquisément, et comme en filigrane la mémoire du clavecin et du luth (quelle poésie dans l'expression sublimée puis sublime de la mélancolie dans la passacaille en sol mineur !). Moires… mémoire. Ombres portées, lumière tendre ou plus vive, se doublent ou se dédoublent, s'étoffent réciproquement. Cet enregistrement récompensé — et déjà salué précédemment dans ce magazine est une réussite absolue. (Bertrand Abraham)  Trois Suites de Louis Couperin, compositeur dont l’œuvre est déjà plutôt rare au disque sous les doigts des clavecinistes – Blandine Verlet y excelle – et plus rare encore chez les pianistes : Pierre Chalmeau en avait gravé chez Fondamenta un plein disque assez magnifique où les danses s’imaginaient en couleurs vives. Aujourd’hui Pavel Kolesnikov lui répond de son toucher sensible, faisant chanter les esquisses de danses dans les splendeurs secrètes de son très beau Yamaha artistement réglé. Son imagination discrète, son art de la confidence sotto voce s’allient parfaitement à la langue du Grand Louis : son clavier est nu, et passe en clin d’œil du charme au tragique, le tout en estompe. Rien ne pèse dans cet art, qui semble idéalement apparié au toucher plein mais évocateur du jeune pianiste sibérien. Si ce n’est pas une rencontre ! Mais malgré ce ton réservé, lorsqu’il faut danser vraiment, les doigts claquent des talons et lancent le pas : écoutez seulement la "Gavotte" de la Suite en ré, et les "Canaries" qui suivent. Soudain, c’est Rameau qui se profile, et rien d’étonnant à cela, la base de la syntaxe du dijonnais a toujours été plus proche de celle de Louis que de celle de François. Mais impossible de ne pas souligner que ce qui charme Kolesnikov et nous charme d’abord, c’est l’indicible mélancolie des chaconnes, la stèle ouvragée du "Tombeau de Mr de Blanrocher" où un luth s’évoque et avec lui presque un chanteur, c’est ce clavier qui songe les yeux ouverts dans les roideurs de ce Grand Siècle hivernal, poète sans mots dont les notes tourmentées cherchent et trouvent ici cette consolation, cette sérénité dans l’art consommé d’un si jeune-homme (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)

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