 1953. Alors que Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen déchainaient de nouveaux moyens sonores, Hans Werner Henze composait ce que l’on peut regarder comme son concerto pour violoncelle. Les cinq épisodes de "Ode an den Westwind", inspirés par le poème de Shelley, forment une ballade spectrale dans une Allemagne dévastée par la seconde guerre mondiale. Henze l’aura composée dans sa retraire d’Ischia, pas un gramme d’Italie n’y parait pourtant. C’est l’œuvre phare de ce disque courageux où Isang Enders aura assemblé des partitions toujours restées dans la marge du catalogue de l’auteur des "Bassarides". Les trois autres œuvres seront plus tardives, elles remontent aux années 1980 et scellent l’amitié entre Henrich Schiff et le compositeur qui écrit à son intention les "Englisches Liebeslieder" qu’Isang Enders poétise dans l’orchestre de pur songe distillé par la baguette évocatrice de Jonathan Stockhammer (L’Ode était confiée à celle de Lin Lao) . Merveille, "Introduktion Thema und Variationen", mêle à l’archet du violoncelle les perles de la harpe sur un paradis de cordes, œuvre d’un raffinement certain où Henze aurait rêvé d’une enfance heureuse qu’il n’a jamais vécue. Pour finir, un tombeau, celui composé à la mémoire de la Princesse Margaret Gedes von Hessen, où s’entrelacent six violoncelles, hommage plus tendre qu’attristé. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)  Mise en abyme, à la mémoire du grand compositeur Hans Werner Henze, disparu il y a juste 10 ans : ce CD que les interprètes ont conçu comme une Ode en son honneur, comprend en effet, entre autres pages, deux œuvres qu’il a lui-même intitulées « odes » (« Ode au Vent d’Ouest » , « Ode funèbre à Martina Geddes »). Façon de souligner combien la création artistique participe de l’hommage rendu à l’autre, et est geste d’humanité. Les 4 opus, produits à différentes périodes de la carrière de Henze, illustrent une trajectoire qui, d’abord encore marquée par le langage post-sériel, partagé avec Boulez, Stockhausen… s’affranchit de l’abstraction et de la radicalité dogmatique. Une musique moderne, vivante, qui trouve sa singularité en s’ouvrant à toutes les formes artistiques (littérature : cinéma, poésie, théâtre, mais aussi politique, et questionnement social). S’ancre dans un microlyrisme, évoquant des lumières du Sud — douces, cependant. Point commun à ces œuvres instrumentales : elles mobilisent toutes un violoncelle solo, — Henze n’avait de fait, pas grande affection pour cet instrument. Il existe des liens entre certaines : le noyau central d ‘« Introduction, Thème et Variations » est issu du 5e mouvement (supprimé après coup) des Chants d’amour. L’Ode au vent d’Ouest se rapporte à un long poème de Percy Bysshe Shelley qui, non traduit en français, figure dans la notice et dont les mouvements renvoient surtout à des « atmosphères » (calmo, vivo, tranquillo, grave) . S’en dégage un lyrisme fouillé, tantôt délicat, tantôt plus dense voire presque agité. La poésie des chants d’amour repose sur des alliances de timbres, des glissements, des superpositions raffinées le tout formant une trame serrée, continue, d’où émergent des micro-évènements sonores. On perçoit là parfois comme des réminiscences du jeu de violon dans l’Histoire du soldat de Stravinski. Gravité sobre et chatoiements éthérés se combinent ou s’opposent à travers le jeu de la harpe et du violoncelle dans « Introduction, Thème et Variations ». L’ode funèbre se déploie comme un motet à six voix, posé, décanté, qui suggère la parenté légendaire entre violoncelle et voix humaine. C’est très beau. (Bertrand Abraham)

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