 La musique est-elle vraiment un langage universel, capable d'émouvoir et de toucher tous les peuples, dans toutes les cultures ? C'est en tout cas un des moyens qu'ont utilisé en Amérique latine les missionnaires des « Réductions » (regroupements de populations autochtones dans des missions catholiques) pour les évangéliser et leur faire adopter un mode de vie européen. Non sans succès : En 1631, « « Hanaq pachap cussicuinin » (« Joie du ciel »), un hymne à la Vierge Marie, première polyphonie en langue quechua, probablement composée par un Quechua, apparaît dans un recueil rituel. Domenico Zipoli (1688-1726), jésuite et compositeur formé à Séville, fut dès 1717 maître de musique pour le Paraguay. Ses œuvres furent bientôt connues dans toutes les « réductions » des territoires espagnols du Nouveau Monde, du Paraguay au Pérou, parmi les Chiquitos et les Guaranis. Notamment ce « Zuipaqui » : « Hâte-toi d'invoquer la bienheureuse Marie, sous sa protection tu ne craindras pas la guerre ». Le jésuite suisse Martin Schmid (1694-1772) a dirigé des compositions musicales en langue chiquitos dans l'actuelle Bolivie. Il a également écrit des œuvres pour flûte andine, comme cette jolie Pastoreta Yehepe Flauta. La « Cachuana Serranita » (La petite montagnarde quechua), danse rituelle invoquant la patronne d'une petite ville des Andes, encore objet de nos jours d'importants pèlerinages, se retrouve sous l'égide de la Vierge Marie. Elle apparaît dans les années 1780, avec une vingtaine d'autres partitions, dans le Codex Martinez Companon, du nom de l'évêque-ethnographe de Trujillo, au Pérou. L'oeuvre du compositeur tchèque Jan Josef Ignac Brentner (1689-1742) a suivi une trajectoire mystérieuse : Bien que son auteur n'ait jamais mis les pieds aux Amériques, son œuvre y a connu un grand succès, et est encore de nos jours jouée en Bolivie. Si la musique baroque européenne a pu toucher la population amérindienne, les musiques populaires très particulières de la Moravie, de nos jours en République tchèque, ont, elles, inspiré des compositeurs de musique savante, comme l'historien et prêtre catholique Kristian Gottfried Hirschmentzel (1638-1703) dans ses danses moraves, et le comte, luthiste et guitariste bohémien Jan Antonin Losy (1650-1721) dans son « air hanaq » «(du nom d'une région morave). Et le grand Telemann (1681-1767), qui se souvenait d'avoir fait la connaissance en 1705 à Sorau (aujourd'hui Zary en Pologne) et à Cracovie « de la musique populaire et morave, dans sa beauté authentique et barbare », nous a laissé de belles suites « hanasky ». Les fils directeurs de cet album ? Le caractère universel du langage musical, la dévotion mariale, et « le plaisir ressenti par les musiciens quand ils se rencontrent pour jouer ensemble », comme le dit la grande flûtiste tchèque Jana Semeradova, directrice artistique de l'Ensemble Collegium Marianum. (Marc Galand)  We have the concept of globalization associated with the 20th century, but without much exaggeration we can apply it to the Jesuit missions in South America in the 17th and 18th centuries. The Jesuits were aware of the power of music, which profoundly touches the human heart. The European music they brought across the ocean was in no time embraced by the indigenous peoples in Bolivia and Peru. And thus works by the Czech composer Josef Brentner, the Italian Jesuit Domenico Zipoli or the Swiss missionary Martin Schmid were soon performed in the settlements in the middle of the jungle and in the mountains. European music blended with the traditional local music, just as the Quechua language blended with Spanish. Through music and singing they praised God and prayed to the Virgin Mary, as we can hear in the Quechua procession hymn Hanaq pachap cussicuinin or Zipoli’s Zuipaqui. However, similarly vivid instrumental music, songs and dances were enjoyed in Moravia, in the very heart of Europe. And again the globalisation in music: many a folk song and dance was imbued with elements of “high culture”, and vice versa, G. P. Telemann did not hide enthusiasm and direct inspiration from Silesian and Haná folk music in his work. And songs worshipping the Mother of God were sung in spectacular churches, village chapels and fields alike. Yet whether European music was performed in the jungle or Haná melodies in Hamburg, the common denominator was enthusiastic musicians who knew no greater delight than getting together and playing. Just like Collegium Marianum on this recording. Let us rejoice together!

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