 Le projet original des interprètes de coupler au disque chacun des trios pour piano et cordes de Brahms avec un trio d'un compositeur postérieur, d'une sorte d' "héritier" trouve ici son achèvement. Après l'op. 101 suivi de l'op. 3 de Zemlinsky (créé du vivant de Brahms), l'op. 87 associé à l'op. 1 (1909-10) de Korngold, l'op. 8 fait escorte au bref op. 63 de Krenek. Au-delà de la production brahmsienne, c'est l'évolution du trio comme genre qui est explorée et expérimentée ici. Et avec elle, le devenir de la musique de chambre dans la Vienne du XXe siècle débutant, propice à l'essor de multiples formes de relations : mondaines, pédagogiques (Zemlinsky-Korngold…) ; familiales (Zemlinsky- Schönberg…) etc. D'où le jeu des influences : entre romantisme tardif et sérialisme s'établiront des transitions, des télescopages et des correspondances. L'héritage de Brahms une fois distendu, une communauté de destin marquera d'ailleurs, sous les chocs de l'Histoire (guerres, nazisme, antisémitisme…) les générations suivantes. Si l'op. 8 brahmsien appelle ici la pièce de Krenek, c'est qu'il est lui-même, paradoxalement, le trio initial et final de Brahms. Œuvre de jeunesse, pleine d'élan spontané, où la prolixité du piano écrasait les cordes, elle fut réduite, restructurée par le compositeur 8 ans avant sa mort —et prévalut ainsi. L'interprétation des Feininger est très habitée : expressivité, équilibre, sens des nuances, grande souplesse, bien que le piano demeure le moteur de la construction. Dans la perspective diachronique des interprètes, la version originelle de l'opus 8, bien trop peu enregistrée, s'imposait toutefois — un 4e cd aurait compensé les chiches 47 minutes de celui-ci et idéalement remplacé une notice amphigourique. Le trio de Krenek marque, quant à lui, la limite au-delà de laquelle le compositeur se convertit au dodécaphonisme. Il y a dans le dialogue expressif raffiné et décomplexé entre violon et violoncelle et le jaillissement des micro-évènements sonores qu'il suscite — tandis que le piano égrène en toile de fond des accords ou précipite ça et là le rythme — quelque chose de poignant. (Bertrand Abraham)

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