"O, zayt gezunterheyt, mayne libe eltern!" (Adieu mes chers parents…) est une mélodie yiddish que Serge Prokofiev (1891-1953) utilisa dans son "Ouverture sur des thèmes hébraïques", op. 34, composée en 1919. Cette année-là, Prokofiev, qui effectuait sa première visite aux États-Unis, se rendit au Carnegie Hall pour assister à un concert donné par un groupe d'anciens élèves du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, ce qui l'amena à s'intéresser aux thèmes juifs. Simon Belilson, le chef de l'ensemble Zimroh, confia alors à Prokofiev un recueil de mélodies juives, parmi lesquelles le jeune compositeur choisit "Zayt gezunterheyt", ainsi qu’une autre mélodie, pour son "Ouverture", op. 34. Ceci posé permet de mieux comprendre l’objectif et l’intérêt du présent enregistrement : plonger avec la clarinette klezmer et celle des Roms d’Europe centrale aux racines de l’âme slave, ce mélange si complexe de souffrances et d’exubérance dont ont hérité tous ceux qui, Juifs ou Roms, connurent les errances et itinérances des peuples traqués et pourchassés. La "Rêverie Orientale" (1886) de Glazunov (1865-1936), comme pièce d’entrée dans ce monde est une sorte d’Orientalisme revisité au prisme cosmopolite des clichés occidentaux. Katchaturian (1903-1978), Arménien de l’Union Soviétique, emprunte aux sources klezmer et Rom des éléments étrangers à sa culture native, dont il simule toutefois un Trio composite (1932). Plus intéressant, mais totalement méconnu Rezsö Kókai (1906-1962), congénère de Bartók et Kodaly, propose un remarquable Quartettino en quatre brefs mouvements qui mettent brillamment en valeur la clarinette émulant un chanteur Rom. "Euterpe", la composition commandée pour la circonstance à Jan Van der Roost (1956-) rappelle en trois sections la muse de la musique, inventrice de l’aulos, ancêtre de la clarinette, et achève ce panorama fort bien servi par des interprètes de qualité. Non pas vraiment une découverte, mais plutôt l’élucidation des péripéties d’un long voyage. À considérer. (Jacques-Philippe Saint-Gerand) If Eastern art music has a folk heart, its arteries are Roma and Klezmer sounds. From the orientalist imagination of Glazunov, the Jewish adoption of Prokofiev, the Uzbek inspiration of Khachaturian, to the Romani-Hungarian roots of Kokai and the Balkanism of Jan van der Roost: all composers on this disc build on the same toolbox of themes and techniques, and they all rely on the clarinet as the ultimate interpreter of this lore. Acknowledged and exquisitely performed by the Roeland Hendrikx Ensemble.
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