 Ce CD constitue le dernier volume du panorama qu'offre de l'abondante production de musique sacrée de Tallis le prestigieux ensemble vocal dirigé par Andrew Carwood. Il comprend en particulier la pièce la plus monumentale et la plus audacieuse du compositeur, le Spem in alium, dans ses deux élaborations successives (texte latin puis anglais - Tallis fut en effet le premier compositeur qui, tout en étant catholique, se soit attaqué à l'écriture de musique sacrée dans la langue "profane"). Cette œuvre recourt à un dispositif proprement stupéfiant pour l'époque : 40 voix réparties en huit chœurs sollicités l'un après l'autre, dans un sens, dans le sens inverse, tous ensemble, ou en quantité plus ou moins grande selon des combinaisons variables. Ce dispositif voulu par le compositeur contribue à une sorte d'enivrement extatique - qui s'apparenterait presque à celui qu'on peut ressentir à l'écoute de certaines musiques non occidentales. Toutes les oppositions (haut/bas, clair/obscur, simplicité/complexité/,horizontalité/ verticalité) sont abolies, sans que rien ne soit confus pour autant, dans une clarté autre, dans une célébration de la résonance et de la vibration où de multiples harmoniques se dégagent. La musique apparaît à la fois simple et complexe, austère et capiteuse, spirituelle et corporelle. Ethérée et pourtant toujours terrestre. Explosante fixe. La beauté des voix, la précision des attaques, cette espèce de dépouillement dans la magnificence et la grandeur que savent créer presque magiquement l'ensemble et son chef transportent l'auditeur tout en le clouant sur place. L'interprétation des autres œuvres (plus modestes, et qui rappellent dans certains passages - même quand le texte est en anglais - la récitation grégorienne) est un modèle de perfection qui fait ressortir à merveille la richesse faite de transparence, de simplicité et de rectitude de ces pages si caractéristiques de la renaissance anglaise (cf. notamment les Psalm Tunes plage 5, les Preces and Responses plage 6, le O sacrum convivium plage 13). Tout est splendidement ciselé, et ce, sans ostentation aucune. Un enregistrement vraiment exceptionnel. (Bertrand Abraham)

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