Au soir de sa vie, exilé en Suisse, Paul Juon revint au grand orchestre qu’il avait abandonné depuis ses éloquents Mystères où un violoncelle-magicien parait, et son Concerto pour violon. Le Berlin de l’entre deux-guerres l’avait fêté comme un compositeur majeur, plus encore pour son abondante production chambriste que pour ses opus symphoniques. Finalement il dira ses derniers mots avec l’orchestre, y infusant un discours complexe qui refuse la forme, veut la liberté, les horizons ouverts, divague avec un sombre brio qui soudain se transforme en une nostalgie de timbres, de motifs où parait tout un automne. Dans les deux volets égaux – de dessin, d’atmosphère, d’ampleur - de la vaste Rapsodische Sinfonie (1939) qui dépasse les quarante minutes, les épisodes purement lyriques sont envoutants, symphonies de timbres où se dévoile un imaginaire onirique qui emporte l’auditeur très loin, le plus exact produit du génie d’un compositeur qui touchant au terme de sa vie – il n’atteindra pas ses soixante-dix ans – parait de plus en plus singulier, inclassable dans le paysage musical d’alors. S’il écrit une fugue, elle résonne avec un caractère démoniaque qu’on n’y avait plus mis depuis Busoni, si il fait soudain rugir son orchestre, c’est pour mieux le plier au dolce le plus inattendu, le plus saisissant. Cet art qui irrigue toute la divagation des deux mouvements de cette rapsodie symphonique où chantent des ménétriers un peu roumains, où passent des chevaliers de contes de fées en armure, quelle merveille alors purement imaginaire au bord du précipice de la seconde guerre mondiale ! La Sinfonietta Capricciosa, composée la même année, est tout aussi surprenante, véritable musique de chambre pour grand orchestre qui enchâsse en son centre un Adagio molto rêveur, où sourd un thème infini. Décidément Paul Juoan fut un génie de la musique germanique du XXe Siècle, et découvrir ces partitions avec une formation aussi luxueuse que les Bamberger Symphoniker c’est rendre justice à des opus de première force. Mais l’excellent Graeme Jenkins nous doit avec son orchestre d’autres volumes : la Burletta, Anmut und Würde, le Tanz –Capricen feraient un second album parfait, et bien d’autres partitions des années dix et vingt mériteraient le disque (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé) After the composer Paul Juon had resigned from his professorship at the Berlin College of Music in 1934, he retired to the shores of Lake Geneva, where he wrote a series of remarkable orchestral works over a period of six years. These works by the Moscow-born Juon, whose ancestors had immigrated to Russia from Switzerland, included his last two symphonies, which once again display all his special qualities as a teller of musical tales and a lyrical and playful tone poet. The Rhapsodic Symphony op. 95 composed in 1937-38 is a grand narrative on the topic of the music with which Juon had concerned himself during the course of his life: Nordic and Russian tones can be heard in it as well as reminiscences of contemporary Central European music from Mahler to Strauss. Juon completed the Sinfonietta capricciosa op. 98, his last major composition for orchestra and a work that may be said to represent the reverse side of the »rhapsodic coin,« in the summer of 1939. It has a classical three-movement structure and is kept simple in its form but is so »capricious« and intricate that like its elder sister work it only gradually reveals its full wealth – which means that here the process of musical discovery occurs in phases that are all the more fascinating because they too gradually bring to light new allusions and increase our associative pleasure with each new listening experience.
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