Serge Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour piano n° 2 en ré mineur, op. 14
Sonate pour piano n° 9 en do majeur, op. 103
Concerto pour piano n° 1 en ré bémol majeur, op. 10
Concerto pour piano n° 5 en sol majeur, op. 55

Sviatoslav Richter, piano
Prague National Orchestra
Karel Ancerl, direction
Warsaw National Philharmonic Orchestra
Witold Rowicki, direction

Longtemps l’album gravé par Virginia Eskin pour Koch Schwann en 1994 fut la seule entrée possible dans l’œuvre pianistique d’Amy Beach. La plus belle part du catalogue de cette artiste largement redécouverte depuis ? Je l’ai toujours pensé. L’américaine y magnifie l’héritage européen, et d’abord celui de Liszt et des Russes : le rossignol qui trille dans la Ballade le dit assez. Ce que fait entendre Virginia Eskin dans son grand piano débordé de couleurs est la sensualité de cette langue, la pure beauté de ses harmonies chatoyantes, mais elle ne néglige pas le fort caractère des gestes souvent virtuoses, la qualité des thèmes comme de la mise en œuvre parlant d’elle-même. Elle souligne à loisir les sources de cet art : Mendelssohn est en filigrane dans les fusées des "Fireflies", Chopin un peu partout, mais tant de références ne font jamais cet art épigonique, mieux, elles donnent à l’univers poétique et virtuose d’Amy Beach une profondeur qui manquera par la suite au piano américain. Plus sombre, la Suite pour deux pianos où la rejoint Kathleen Supove, montre cet art parvenu à son acmé, conclusion éloquente d’un album toujours aussi essentiel. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)

Le son des pianos, évidemment… Ceux des années cinquante pour les sonates (en live pour la Sonate n° 2 et en studio pour la Sonate n° 9) ne sont pas les plus "suaves" à l’oreille (même après l’excellent remastering du label Alto). Les interprètes russes reconnaissent parfois que la musique pour piano de Prokofiev est une musique "sale" et que l’on peut la jouer comme telle, à la condition expresse d’en respecter très exactement l’écriture… Richter avec Gilels, entre autres, furent ceux qui assimilèrent très exactement l’esprit et la lettre de cette musique. Les témoignages de Richter dans les deux sonates sont nombreux. Pour la Sonate n° 2, c’est peut-être la lecture la plus "incendiaire", captée en public à Moscou, d’une violence expressive qui sidère littéralement jusque dans un finale diabolique, certaines notes détimbrant. Chaque phrase semble portée par une intention définitive, jouée et "battue" parfois avec une force et une conviction extraordinaire. La dernière Sonate de Prokofiev est tout aussi prodigieuse sur le plan narratif, explosive comme le souhaitait Prokofiev qui la dédia au jeune Richter. Le Concerto pour piano n° 1 sous la baguette d’Ancerl fut édité à l’origine par Supraphon. La conception est grandiose, le chef tchèque préparant l’entrée du jeu volcanique de Richter. C’est peut-être la version la plus étouffante de la discographie, d’une virtuosité hallucinée, révolutionnaire au sens littéral du terme. Rowicki et Richter dans la Concerto n° 5 ont réalisé, eux aussi, une référence de la discographie. Cet enregistrement Deutsche Grammophon est l’un des grands témoignages (1959) de Richter au sommet de son art. D’un tranchant et d’une précision inouïe, la formation polonaise de Rowicki fusionne avec le piano. Est-ce que cette lecture a été dépassée ? On peut en douter. (Jean Dandrésy)