Adolescent je thésaurisais les disques d’Ivan Moravec : quelques Vox, des VAI, des Connoisser Society, très peu de Supraphon : le label tchèque le boudait, suivant en cela les autorités communistes qui avaient fini par le libérer en 1962. Vite, direction New York et les studios d’Alan Silver. La légende Moravec était née. J’adorais sa sonorité où le poids du bras déploie une variété de timbres et de dynamiques qu’illustre à la perfection la Fantaisie chromatique et Fugue qui ouvre son récital du 6 janvier 1987 à la Salle Dvorak du Rudolfinum de Prague : écoutez seulement le decrescendo avant l’énoncé du sujet de la fugue. Cette sonorité si douce et si précise, Ivan Moravec l’avait acquise par défaut, se remettant au piano sans espoir après un accident de patin à glace : chute violente, la moelle épinière avait été lésée, le privant d’une grand part de son énergie. Mais voila, la poésie, le timbre, le cantabile l’ont sauvé, et il put irradier un des plus beaux sons de piano – je le mets dans la même famille qu’Horszowski et Perlemuter, des poètes quoi ! Le Bach qui ouvre ce concert est un modèle de lyrisme, la Sonate K333 qui suit, ailée, miraculeuse de fluidité jusque dans les apartés et d’un discours si vif, c’est comme si la folie des Nozze di Figaro se précipitait dans le petit théâtre de l’Allegro. La Sonate Quasi una fantasia de Beethoven itou, magnifiques de couleurs, de polyphonies, de poésie plutôt que d’humeurs : Moravec s’était fait une spécialité des sonates « intermédiaires » de Beethoven, il aimait leur fantaisie sans métaphysique, leur sourire. Pas de récital Moravec sans Chopin ou sans Debussy – il reliait étroitement les univers de ces deux compositeurs, expliquant que leurs rapports au clavier étaient semblables. Dés l’énoncé en apesanteur de la Mazurka op.50 n°3, comme baignée par un clair de lune, on comprend bien les affinités électives qui réunissent le pianiste et son compositeur d’élection. Il peut comme personne faire sonner l’écriture polyphonique de Chopin sans jamais la solliciter : tout est dans les questions et les réponses de l’harmonie. Deux Nocturnes, la Quatrième Ballade redisent cette adéquation parfaite et le pianiste prend congé, en l’annonçant, avec le Clair de lune de Debussy. Facile, mais imparable. Vite, d’autres récitals (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)
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