Ignacy Jan Paderewski (1860-1941)
Manru, opéra en 3 actes (version originale en allemand)

Thomas Mohr, ténor
Romelia Lichtenstein, soprano
Gabriella Guilfoil, mezzo-soprano
Levent Bakirci, baryton
Franziska Krötenheerdt, soprano
Chor der Oper Halle
Staatskapelle Halle
Michael Wendeberg, direction

Nouvel enregistrement de l’unique opéra de Paderewski créé à Dresde en allemand en 1901 et resté malheureusement dans l’ombre. La première en France de l’interprétation objet de ce coffret n’a eu lieu qu’en 2023, grâce à l’Opéra de Lorraine ! Le récit ? Une tragédie sur fond de xénophobie et d’intolérance entre villageois et communauté tzigane, de répudiation maternelle, de quête de liberté, d’amour impossible auquel même un philtre magique ne peut rien, de meurtre et de suicide. La partition somptueuse séduit dès les premières notes par sa veine mélodique et folklorique. Parmi les superbes séquences qui parsèment le récit citons l’apparition du violon solo et du cymbalum dans un beau trio entre Manru, Ulana et Urok à l’acte 2 repris à l’acte 3 ; le duo d’amour d’inspiration tristanienne de l’acte 2 ; l’hymne à la liberté de Manru orné de pépiements d’oiseaux ; les grands ensembles choraux (chant et marche des tziganes), et, bien sûr, la tragique péroraison. L’âme wagnérienne côtoie l’âme slave, les leitmotivs s’intercalent entre les danses et les chœurs tziganes. Sans atteindre vocalement la version polonaise de 2006 par l’Opera Nova de Bydgoszcz (CD et DVD), surtout pour le rôle majeur d’Ulana, voilà une belle occasion de découvrir cette œuvre post-romantique du plus grand intérêt. Texte d’accompagnement et livret allemand et anglais. (Gérard Martin)

Créé à Dresde en 1901 en allemand, l’unique opéra de Paderewski trouva ensuite son public national une fois repris en polonais. C’est la version de la première qu’a montée l’opéra de Halle en mars 2022 et qu’édite aujourd’hui CPO. Le livret raconte le déchirement du tzigane Manru entre la vie sédentaire qu’il mène avec son épouse Ulana, que sa mère a reniée pour ce mariage, et l’appel de la vie vagabonde des tziganes. Séduit par la jeune Asa, Manru finira par s’enfuir, retrouver son peuple et provoquer le suicide d’Ulana et sa propre mort ainsi que celle d’Asa. Sur ce livret assez mélodramatique, Paderewski écrit une musique puissante, incluant des accents tziganes très reconnaissables et spectaculaires (comme les solos de violon), mais aussi très marquée par l’influence wagnérienne. Les choeurs du premier acte rappellent ceux du "Vaisseau fantôme", tandis que les duos d’amour entre Manru et Ulana dans le second acte s’inspirent tant de Tristan d’autant qu’Ulana fait boire un philtre d’amour à Manru pour le garder (en vain) auprès d’elle que du premier acte de la "Walkyrie". Néanmoins, l’ensemble se tient et disposer de cette version allemande, dans laquelle figure le livret, est un ajout important à la discographie où ne figuraient jusque-là que des versions en polonais. Le chef Michael Wendeberg tient ses troupes avec beaucoup de maîtrise et sait construire et maintenir la tension dramatique tout au long de ces deux heures de musique. Dommage que la distribution soit assez inégale. On salue le Manru éclatant de Thomas Mohr et l’Asa redoutablement séductrice de Fransizka Krötenheerdt, comme le chef Oros (la basse Ki-Hyun Park) qui sera déposé pour Manru. En revanche, le rôle essentiel d’Ulana est dévolu à Romelia Lichtenstein dont le vibrato hors de tout contrôle lasse très vite l’auditeur le mieux disposé. C’est d’autant plus regrettable que la place de l’épouse de Manru dans le drame est évidemment essentielle et que Paderewski lui réserve les moments les plus lyriques. A cette (importante) réserve près, on se réjouira de découvrir cette belle œuvre, moins originale toutefois que la colossale symphonie "Polonia" de quelques années postérieure. (Richard Wander)