L’œuvre de J.M.C. Dall’Abaco, essentiellement consacrée au violoncelle qu’il pratiquait en virtuose, paraît peu abondante au regard de la longévité extraordinaire de son auteur. Célèbre en son temps, puis oublié, ce compositeur suscite à nouveau, à juste titre, l’intérêt et l’enthousiasme : en 2014, Elinor Frey avait enregistré quelques-uns de ses Caprices pour violoncelle seul dans un Cd présentant un florilège de pièces italiennes du XVIIIe pour violoncelle. Et j’ai dans ces colonnes rendu hommage à la belle intégrale de ces mêmes Caprices enregistrée par F. Galligioni (Brilliant 2018). E. Frey s’est, entre-temps, prise de passion pour Dall’Abaco, ajoutant à son travail d’interprète la réalisation d’études musicologiques qui ont abouti à la parution d’une édition critique magistrale des 35 sonates. Après son Cd de 2020 comprenant 5 d’entre elles, et récompensé par un Diapason d’Or, elle nous offre ici 3 sonates et 3 duos — genre qui connut un grand essor à partir des années 1730. La richesse prodigieuse de la musique de Dall’Abaco met en valeur tout ce dont l’instrument est capable : à des lignes mélodiques simples, claires et élégantes, évoquant le chant et la danse succèdent des traits pleins d’énergie, de fureur, une virtuosité rageuse striée par le jeu de double corde. Le brio est parfois moins éclatant mais plus funambulesque, quand par exemple il sollicite l’aigu de l’instrument. Certains mouvements sont à eux seuls des chefs-d’œuvre : ainsi, la pastorale de la sonate ABV 37, où des motifs entêtants, lancinants mais qui semblent survenir subrepticement créent une sorte de théâtre d’ombres dans une atmosphère de lyrisme élégiaque éploré. On admirera l’allant du jeu complice entre violoncelle et théorbe dans la sonate ABV 45. Et quelle richesse de couleurs et de timbres ! Le grain du son est encore parfois nimbé de traces mnésiques et de résonances évoquant, sans nostalgie, la viole de gambe. Les duos sont nets, francs affirmés, (cf. l’adagio de l’ABV 47) et s’avèrent particulièrement équilibrés dans leur écriture, ce qui n’est pas rien : chez nombre d’autres compositeurs la partie du deuxième violoncelle est en effet d’une pauvreté insigne. On a ici un vrai dialogue, nourri et actif où les rôles permutent ou contrastent pour ainsi dire naturellement. L’interprétation est de bout en bout splendide, portée, inspirée. Un délice. (Bertrand Abraham)
|