 Dans une lettre à son père Leopold datée du 10 avril 1782, Mozart résume ce qu'il doit à la dynastie Bach : "Je vais chez le baron van Suiten (van Swieten) tous les dimanches à midi, où l'on ne joue que Haendel et Bach. Je constitue actuellement une collection des fugues de Bach, non seulement de Sébastien, mais aussi d'Emmanuel et de Friedemann Bach (...)Vous avez sans doute appris que le Bach « anglais » est mort ? Quelle perte pour le monde musical !" Epitaphe un peu courte pour ce dernier : c'est à l'âge de 8 ans, en avril 1764, que Mozart rencontre pour la première fois Jean-Chrétien Bach. Celui-ci passera 5 mois à lui enseigner la composition, et Mozart lui rendra toujours hommage. Et en 1788, il dirigera à Vienne un oratorio de Carl Philipp Emmanuel. Avec les quatre œuvres pour deux claviers ou pour quatre mains que nous présentent les époux Grychtolyk, et dont les dates de création s'étagent de 1740 (concerto pour deux clavecins en fa majeur (Fk 10) de Wilhelm Friedemann à 1780 (sonate en fa majeur op. 18 N° 6) de Johann Christian, en passant par des œuvres de CPE Bach de 1769, et de Mozart de 1787, c'est tout un pan de 40 ans d'histoire de la musique qu'ils nous peignent, celle de la fin du baroque et de la maturation du classique. La tendance est à une simplification de l'écriture et à l'affirmation de la primauté de la mélodie sur l'harmonie et le contrepoint, et à l'ouverture de chemins nouveaux, les douceurs de l'esthétique galante, les délices plus subjectifs de « l'Empfindsamkeit », voire les accents pré-romantiques du Sturm und Drang. Si Bach – le père – a porté à maturité les œuvres pour plusieurs claviers, c'est bien Mozart qui a inventé le quatre mains, qu'il pratiquait avec sa sœur Nannerl. La fresque que nous peignent, de leur touche élégante et toujours vivante, Aleksandra et Alexander Grychtolyk, de leurs "mains magiques", est à la fois instructive et plaisante. (Marc Galand)  Si la composition d’œuvres pour deux clavecins remonte à Tomkins auteur d’un "Fancy for two play" et Pasquini (Sonates pour deux basses chiffrées), ce fut Bach qui lui donna ses lettres de noblesse notamment avec son Concerto en do BWV 1061, sa fugue en miroir de l’Art de la fugue (Contrapuctus 13) et ses autres Concertos pour trois ou quatre claviers. Mozart fut, lui, l’inventeur de la Sonate à quatre mains suivies bientôt par son partenaire musical et ami Johann Christian Bach. Si la Sonate K521 de Mozart peut être jouée sur un seul clavier, elle fut écrite à l’origine pour deux clavecins et dédiée à son élève Franziska von Jaquin. Tumultueuse et insouciante, elle traduit bien l’efflorescence de la jeunesse par ses fusées arpégées et son côté humoristique. Le Concerto F 10 de Wilhelm Friedemann regorge de tournures surprenantes, reflets du caractère badin du compositeur. L’Allegro reprend avec malice le populaire Ich bin nun wie ich bin, vient le joli motif en triolet de l’Andante objet d’un dialogue animé entre les deux instruments, puis un Presto exalté en final. L’aspect galant et miniature des quatre Duos Wq 115 de Carl Philipp Emanuel Bach ne masque pas tout à fait leur ingéniosité harmonique. Johann Christian Bach composa sans doute sa Sonate op. 18 n° 6 après 1780 pour les concerts des duettistes Bach-Abel. Le quatre mains là encore irradie une forme d’allégresse et de légèreté alors même que le compositeur se débattait entre la maladie et les difficultés financières. Aux claviers de deux clavecins Cornelis Born (d’après Johannes Daniel Ducken 1750) le duo Grychotlik livre une éblouissante démonstration de pyrotechnie digitale. (Jérôme Angouillant)

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