Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Quatuor à cordes n° 11 en fa mineur, op. 95
Sonate pour violon et piano n° 10 en sol majeur, op. 96 (arr. pour quatuor à cordes de F. Ries)

Pierre Rode (1774-1830)
Quatuor à cordes en sol majeur, op. 18

Schuppanzigh Quartet

Anton Steck, violon
Katja Grüttner, violon
Christian Goosses, alto
Werner Matzke, violoncelle

Ignaz Schuppanzigh (1776-1830), commensal de Beethoven, violoniste et altiste virtuose, fondateur en 1804 du Quatuor éponyme, fut le créateur de la plupart des quatuors tardifs de Haydn et Beethoven ainsi que du treizième quatuor de Schubert "Rosamunde". L’évocation du nom entraîne ainsi à sa suite tout un ensemble de remembrances contextualisant parfaitement l’esthétique d’une époque charnière musicalement privilégiée. Les membres actuels du Quatuor Schuppanzigh de Cologne prolongent parfaitement jusqu’à nous les valeurs et qualités stylistiques de cette philosophie du beau dans un enregistrement singulièrement représentatif, non seulement par leur pratique historiquement informée d’instruments modernes mais aussi par le choix d’un programme aussi ingénieux qu’édifiant. Le 11e Quatuor de Beethoven composé entre mai et octobre 1810 y est accompagné de la 10e Sonate pour violon et piano de 1812 que Ferdinand Ries, fidèle disciple de Beethoven, transcrivit en 1834 pour quatuor à cordes, avant l’exhumation, à des fins comparatives, du Quatuor en Sol majeur Opus 18 de Pierre Rode. Cette combinaison astucieuse met au jour un projet kaléidoscopique et didactique passionnant : ces œuvres s’illustrent mutuellement par leur proximité temporelle et leur interrelation. Le quatuor de Rode explique l’écriture de Beethoven dans le finale de la sonate op. 96 et l’arrangement de Ries pour quatuor à cordes révèle à son tour la structure musicale de cette dernière, qui va bien au-delà du style générique d’une sonate pour violon. Enfin, le quatuor à cordes de Beethoven rompt avec le statu quo de son époque, représenté notamment par Rode et Ries. Avec ses exagérations ironiques, ses forts contrastes et son souci délibéré d’incompréhensibilité au regard du canon, il abandonne l’horizon musical classique précédemment validé de la compréhension des formes du quatuor, et requiert instantanément une nouvelle approche formelle et sensible du genre. Interprétations superlatives de goût et de vie. (Jacques-Philippe Saint-Gerand)

Après une intégrale des quatuors à cordes de Ferdinand Ries (1784–1838), le Quatuor Schuppanzigh poursuit l’exploration de l’oeuvre de celui qui fut l’ami, le secrétaire, le confident et l’élève de Beethoven. Ici, la contribution de Ries semble plus modeste : il s’agit d’un arrangement pour quatuor à cordes de la 10e sonate pour violon et piano, en sol majeur, de Beethoven. Rappelons que Ries fut le seul à être autorisé par le maître à arranger ainsi ses oeuvres. L’exercice pourrait manquer d’intérêt, mais on ne peut qu’être admiratif de la façon dont Ries a compris et restitué, avec des moyens radicalement différents, les intentions de Beethoven quant aux changements de texture entre les voix si différentes du violon et du piano — l’écart étant nécessairement moins important au sein d’un quatuor à cordes. Pour accompagner cette oeuvre, on trouvera le merveilleux 11e quatuor de Beethoven, contemporain de la Sonate, dans lequel Beethoven entame une nouvelle révolution, qu’il continuera encore avec ses derniers quatuors. Enfin, une dernière oeuvre contemporaine, mais beaucoup plus rare : un quatuor de Pierre Rode (1774–1830). Ce nom ne vous dit rien ? Rode fut un violoniste prodige de très haut niveau, connu de toute l’Europe (et finalement dépassé par Paganini) ; il avait toutefois dépassé le faîte de ses capacités quand il créa la Sonate que Beethoven avait écrite pour lui (et dont il avait pourtant supprimé, à sa demande, les passages les plus fougueux). Son Quatuor, bien plus sage que ceux de Beethoven, fait mieux comprendre l’absence de fougue du dernier mouvement de la Sonate, mais également le génie révolutionnaire du maître de Bonn. (Walter Appel)

The Schuppanzigh Quartet has been a source of enormous energy in the area of string quartet literature for almost thirty years. Founded by violinist Anton Steck in 1996, the ensemble offers a delightful experience with their intellectually stimulating concert programs and recordings, whose connections to other arts are completely fascinating. So too is their current album with its snapshots of early 19th century Vienna. Beethoven's unruly and ironic "Quartetto serioso" Op. 95 is paired with a quartet by the French violinist Pierre Rode, for whom the master had written his last violin sonata Op. 96 in 1812. Consequently, this work is also recorded here – not in the original, but in an astonishing quartet version that Beethoven's pupil and friend Ferdinand Ries arranged. And so it sounds almost a bit like Dvorák ...