 La houle précipitée qu’emporte le clavier agile de Dirk Mommertz signe cette version océanique des deux Quatuors de Fauré. Le ton assombri du Deuxième Quatuor - les berlinois choisissent de renverser la chronologie des opus - est saisissant autant par sa puissance que par son lyrisme, les quatre amis creusant les dynamiques, donnant à la grande mélodie l’ampleur d’un ressac de tempête. Serait-ce enfin la lecture ardente que ces deux chefs-d’œuvre espéraient depuis la gravure de Jacqueline Eymar et du Trio Kehr ? Le precipitato de l’Allegro molto, scherzo fusant, est plus surprenant encore que ce que leurs glorieux ainés proposaient, plein d’écueils, d’arrêtes, emportés dans ce tourbillon. Quelle version ! qui dans l’urgence sait ménager les instants de vertige et jusque dans les nuances pianissimos cette électricité fulgurante. Joué avec une précision aussi fanatique, le langage de Fauré parait dans toute sa modernité, même dans l’Adagio, musique de quasi silence, belle comme une suite d’énigmes que le piano vient emperler d’embruns. Le Premier Quatuor est comme entrevu en rêve tout au long de son Allegro, un Éden assombri de nostalgie, dont les teintes de crépuscule s’effacent dans des sfumatos subtils. Merveille modelée comme par des voix et non plus des instruments. La ronde du Scherzo, sur des pizzicatos effilés, sonne pleine d’étrangetés, prélude à cette stèle qu’est l’Adagio, méditation tenue à la limite du silence. Le mouvement perpétuel du final, hypnotique, semble annoncer le premier mouvement du Deuxième Quatuor, comme si ce disque magistral était une boucle parfaite, abritant dans son centre cinq mélodies arrangée avec une finesse d’oreille, un art amoureux pour les trois archets et le piano par Dietrich Zöllner, bien plus qu’une curiosité, un petit voyage dans les divers univers du compositeur. (Discophilia - Artalinna.com) (Jean-Charles Hoffelé)

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