De cet absolu monument rhétorique mais serrant le cœur battant d'une vie de mélomane sur île déserte (l'embarquement pour s'y taire), on remarque assez peu que faute d'une édition référentielle authentifiée, l'ordre idéal n'existe pas de ses différentes parties. Feignons alors d'avoir autorité pour oser l'organiser. En allant, en quelque sorte, du simple au compliqué (de la simple à la triple fugue, etc.), ou comme on voudra en suivant déjà un Gustav Leonhardt. D'une autre main, collection d'exercices ou véritable cycle, il semble établi que Bach lui-même avait déterminé l'ordre des onze premiers contrepoints. Et la pianiste, s'en expliquant intelligemment dans le livret, choisit de les faire suivre directement par les canons, avant les fugues en miroir, pour cause de logique dramatique. Affaire réglée. Reste à passer outre la deuxième difficulté, celle de la sensibilité d'interprétation : oubliez tant de postures compassées (forcément sublimes...) au bénéfice parfois d'une exultation pure. A cet égard - et nous connaissons bien une trentaine de versions pianistiques de l'Art de la Fugue, dont nous sommes fou - Schaghajegh Nosrati se place au sommet, tout près d'un David Lively (dont le seul faible est d'exagérer le désordre des morceaux, reprogrammer sa platine !). Notre jeune pianiste est parfaite tantôt d'intériorité (contrepoints 1-5-7-10), tantôt d'une verve jubilatoire (contrepoints 8 et surtout 9, et deux premiers canons aussi réussis que les deux derniers plus modérés) qui a cependant ses hésitations (coup de mou dans les contrepoints 11 - 18 - 19 et sa conclusion manquant un peu de souffle et d'ampleur). Mais foin de chipoter, formidable entrée dans la carrière discographique de cette merveilleuse jeune pianiste. En regrettant, au fait, qu'un Glenn Gould ne nous ait pas donné (hors de quelques extraits de concert) ce chef-d'œuvre intégral au piano (car à l'orgue, l'humain, trop humain Helmut Walcha est irremplaçable). (Gilles-Daniel Percet) Pour son premier CD, Schaghajegh Nosrati a choisi Bach. L’évidence avec laquelle la jeune pianiste Schaghajegh Nosrati interprète Bach est telle qu’elle a impressionné d’illustres musiciens comme Sir András Schiff ou Robert Levin : ils évoquent son jeu convaincant et extraordinairement émouvant. Grâce au premier CD de S. Nosrati chez GENUIN, c’est à notre tour de pouvoir être témoins de son art, extrêmement mature. Que la pianiste ait choisi l’opus ultimum de Bach, L’art de la fugue, complète le tableau : l’oeuvre apparemment si imposante se présente ici avec légèreté et naturel, elle devient sous ses mains un récit de grande ampleur, auquel nous prêtons l’oreille avec ravissement et émerveillement. The ease with which the young pianist Schaghajegh Nosrati plays Bach has impressed great musicians like Sir András Schiff and Robert Levin. They describe her performance as convincing and as exceptionally moving. Now we too, thanks to Nosrati's debut GENUIN CD, can be witnesses of her exceptionally mature art of interpretation. That the pianist chose Bach's opus ultimum, The Art of Fugue, fits into the picture: the seemingly bulky work comes forth with ease and naturalness, turning into a great narrative in her hands that we listen to with joy and astonishment.
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