Deux figures légendaires de l’interprétation mahlérienne réunies à l’occasion d’un concert à Munich pour l’œuvre peut-être la plus intime et douloureuse de Mahler : « Le chant de la terre ». Kubelik dont on garde chèrement le souvenir vinyle des symphonies chez Deutsche Gramophon (Privilège) et Janet Baker, unique dans ce répertoire (Lieder avec Barbirolli) qui a chanté et gravé maintes fois cette œuvre (Notamment avec Haitink et Szell). A leurs côtés Valdemar Kmentt chanteur de moindre envergure qui ne démérite pas. Aucune volonté de la part de Kubelik, qui a été un des premiers à enregistrer l’intégrale des symphonies, de faire saillir l’orchestration complexe de Mahler, comme certains chefs, cherchant la sensualité et la brillance sonore. Le geste de Kubelik révèle l’humanité et le désespoir du langage de Mahler, malgré de brèves lueurs de gaieté acide, un sentiment d’angoisse et de déclin. Les deux premiers numéros sont exténuants. Dans le Trinklied, Kmentt a tendance à pousser sa voix par manque d’ambitus, la direction de Kubelik est hachée, expressionniste (couleurs rehaussées, tempos incœrcibles) elle prend le chanteur à la gorge. Peu d’apaisement dans le « Der Einsame im Herbst » où le voile du timbre si particulier de Janet Baker, entre miaulement et plainte, flotte parmi les fluides délétères distillés par l’orchestre. « Von der Jugend » est un modèle de tenue orchestrale et de respect du texte, Kmentt y recouvre sa chaleur d’émission. Par la suite Kubelik assouplit sa direction et, pratiquant un registre purement symphonique, entraîne les voix des deux chanteurs vers des cimes expressives. Exceptionnelle osmose entre l’orchestre de Bavière et son chef attitré. L’ « Abschied », long récitatif élégiaque, libère une langueur ineffable. Baker au faite de son art, dans la caresse et le murmure, s’y expose de façon souveraine jusqu’à l’ultime silence (dépourvu d’applaudissements). A acquérir d’urgence : l’édition live des symphonies (manquent la 4 et la 8) chez le même éditeur : Audite. Témoignages inestimables. (Jérôme Angouillant) Un événement musical sous la direction d’un grand chef, Rafael Kubelik. Originaire de Bohème-Moravie comme Mahler, il s’était donné pour mission de restaurer après la guerre le prestige de Gustav Mahler et venait d’enregistrer l’intégrale de ses dix symphonies. Gustav Mahler se consacra uniquement au lied et à la symphonie, les deux genres étant même parfois entremêlés comme ici. Le Chant de la terre est une suite de six lieder avec un grand orchestre qui les commente ou les prolonge par ses interludes: un monde de méditations, de nostalgies et de rêves, qui place l’homme mortel devant la nature éternelle. L’œuvre culmine dans le sixième lied, der Abschied (l’adieu) qui touche au sublime. Gustav Mahler, cardiaque, se savait condamné à brève échéance et composa avec ce lied son œuvre la plus personnelle et la plus originale. Libéré de toute contrainte, il ouvre la voie à la musique du XXème siècle. -
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