 Dominique Merlet avait enregistré en 2000 un plein disque d’œuvres de celui qui fut son maître dès ses neuf ans, et soudain un génie du piano français paraissait : Jean Roger-Ducasse. Voici que Martin Jones grave tout son œuvre de clavier. La musique de Jean Roger-Ducasse est une coupe pleine de parfums, un art d’une sensualité quasiment érotique, où l’harmonie saturée, la profusion des motifs, les rythmes souples et complexes, le génie de la couleur créent un univers singulier : c’est comme si le piano français s’y résumait après Fauré, et dans le sillage de celui-ci. Car Roger-Ducasse n’a pas été sensible au sentiment ravélien, et chez Debussy, seulement aux Etudes, ce cahier tardif où l’harmonie parvient à une complexité profuse dans laquelle son propre clavier peut se reconnaitre. Mais son art pianistique vient d’abord de Fauré, et va au-delà de Fauré, dans la même veine poussée plus loin, dans la même ivresse, remplaçant ce qui reste de tentation mélodique par des exaucements de figures et de couleurs. Comment vous dire ? Un Bonnard en musique, c’est cela. Martin Jones entre ici de son piano si plein, si gorgé de lumière et d’ombre – ce sera probablement le grand œuvre de cet « intégraliste » impénitent qui a voyagé de Debussy à Granados en passant par Percy Grainger, Brahms ou Espla – il s’y trouve chez lui, chantant, timbrant, tendant des arcs-en-ciel , fouillant ce clavier paysage où passent parfois le souvenir d’Albeniz comme dans le Prélude de 1913 pu dans les Rythmes de 1917. Chefs d’œuvres de l’ensemble, les deux Barcarolles du début des années vingt où la profusion s’ordonne dans un chant plus sombre, deux opus magiques. Fauré Y est omniprésent, comme si les composant Roger-Ducasse l’avait eu à ses cotés ainqi que les montre une célèbre photographie où on les voit tous deux au piano, entourés de Ravel, Aubert, Huré, Caplet, Koechlin et Vuilermoz. Toute une époque se sublime dans cette musique qui fait sienne le fameux « Luxe, calme et volupté » baudelairien (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)  Jean Jules Aimable Roger Ducasse n'est pas prêt d'orner les têtes de gondole des disquaires. C'est un compositeur discret qui se disait même impopulaire. Fonctionnaire dévoué, intégré à la vie musicale, sa carrière se délitera peu à peu et il finira sa vie loin de Paris, seul et désillusionné. Disciple préféré de Fauré, il est l'auteur d'une œuvre chétive et peu fréquentée, dont cette musique pour piano qui fait l'objet de ce coffret de trois disques. Seul un pianiste défricheur comme le dévot Martin Jones pouvait s'atteler à la tâche de publier cette édition complète. Jeune, Roger Ducasse compose quelques mélodies avec piano, Fauré lui demande d'écrire la réduction pour piano du Requiem. Il obtient le second prix du concours de Rome avec sa cantate Alcyon. Ses œuvres maitresses suivront : deux poèmes symphoniques - "Au jardin de Marguerite", "Sur le nom de Fauré", des pièces orchestrales : Epithalame (1922), Marche Française, Nocturne de Printemps. Enfin, quelques œuvres concertantes, chorales et de musique de chambre (Un beau quatuor avec piano). Le second quatuor à cordes (révisé en 1953) clôturera définitivement son œuvre. On discerne des sources vives dans les pièces pour piano. Roger Ducasse s'approprie le Chopin de Fauré et risque un quasi mimétisme avec son maître dans ses propres compositions. Bien des pièces évoquent Debussy mais aussi Ravel et Kœchlin (que Ducasse fréquente à la Société Musicale Indépendante). Un fauvisme clair et lumineux rehaussé par un goût pour le contrepoint (la curieuse transcription de la Passacaille de Bach), une harmonie restreinte et une pointe d'atticisme, héritage fauréen. Timbres francs et couleurs vives. Les pièces divertissantes à quatre mains (Petite suite 1899), les ambivalentes "Variations sur un choral "(1915), "les Trois Livres" (1916-17) combinent paradoxalement rigueur de fabrication et fantaisie. L'ensemble est ludique, agréable à écouter et dénote une variété d'expressions et de points de vue. Le piano de Jean Roger Ducasse, faute d'être personnel, regorge de la vie musicale de l'époque. Martin Jones enfile ces perles avec une belle objectivité qui confine parfois à la neutralité (faute d’une absence de personnalité du compositeur ? de l'interprète ?). Appâté et séduit par ces amuse-gueules, le mélomane guettera la publication d'œuvres plus substantielles : les trois quatuors (dont celui avec piano) et les pages orchestrales. (Jérôme Angouillant)  Jean Roger-Ducasse was born in Bordeaux on 18 April 1873. He studied at the Paris Conservatoire from 1892 and in 1895, along with Ravel, joined the composition class of Gabriel Fauré. In 1902 he won the second Grand Prix de Rome with his cantata Alcyone, with Ravel gaining fourth prize. He had a very active role in musical life in Paris founding the Société Musicale Indépendante in 1909 and gaining the position of inspector g eneral for the teaching of singing in Paris schools in 1910. His circle included Fauré, to whom he was a close friend, the famed pianist Marguerite Long, who performed his Six Preludes in 1912, and Debussy, who Roger-Ducasse joined for the premiere of En Blanc et Noir in 1916. In 1935 he succeeded Paul Dukas as Professor of Composition at the Paris Conservatoire, a post he held until the outbreak of World War II after which he retired to Bordeaux. He died in Taillan-Médoc, Gironde on 19 July 1954. Roger-Ducasse's compositions include several songs, two string quartets, numerous orchestral and choral pieces, two stage works and a sizeable group of piano pieces. Contrary to the music of Ravel and Debussy Roger-Ducasse's style is not impressionist but descends from Chopin and more closely aligns with Fauré. The piano music, composed 1906-1923, is typical of his musical language: complex and chromatic, but perfectly formed. It is now high-time to revisit the works of this unjustly forgotten talent.

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