Leonid Sabaneev n’est pas un inconnu, c’est le Monsieur en veste à rayures à gauche de Tatiana de Schloezer et d’Alexandre Scriabine sur la fameuse photographie qui les montre assis dans une prairie dominant la rivière Oka. Nous sommes au début des années dix, tout est encore calme, mais dans moins de quatre ans Scriabine sera emporté par un anthrax fulgurant, la Grande Guerre viendra harasser l’Europe et la Révolution changera à jamais le visage de la Russie. Dès ses années au Conservatoire, Sabaneev s’était rangé du coté des avant-gardes, encouragé par Nikolaï Rimski-Korsakov, aiguillonné par les recherches de Scriabine dont il convertissait le mysticisme en raisonnements mathématiques. Il collabora d’abondance à Der blaue Riter, et avec Nikolaï Roslavets, cet autre futuriste dont l’œuvre prenait ancrage chez Scriabine, fonda la revue progressiste Musikalnaïa Kultura. Partageant son temps entre le papier réglé et une biographie consacrée à son mentor, plusieurs fois reprise et augmentée après sa première édition en 1916, il laisse une œuvre sombre et flamboyante qui prolonge les extases scriabiniennes, articulant son écriture visionnaire et expressionniste sur une vaste gamme de 53 notes. Dans les opus de clavier réunis ici par Michael Schäfer, datant tous d’avant la révolution, on entend nettement le modèle de Scriabine, mais dans un langage plus radical, tournant le dos à la sensualité pour aller vers des arcanes plus sombres et un système musical qui rappelle celui de Roslavets - la tonalité se suspend plus d’une fois derrière les étranges altérations qui meuvent le discours. En 1926, après essayé de survivre artistiquement au dictats des révolutionnaires, Sabaneev abandonne la partie, et quitte l’URSS pour une longue pérégrination en Europe puis aux Etats-Unis. Il ne reviendra jamais à Moscou, finira par s’établir comme ses amis de la diaspora russe sur la côte d’azur, où la mort l’emportera à Antibes le 3 mai 1968. Mais il laisse une œuvre considérable - piano, chambre, orchestre, cantate - qui permit à la pensée créatrice de Scriabine de lui survivre. Ce premier volume de ses œuvres pianistiques capté sur un Bösendorfer impérial profond, au medium ample, sera pour beaucoup une révélation. Michael Schäfer promet un second volume où figurera probablement la Sonate « à la mémoire de Scriabine ». Il nous doit également la Suite pour deux pianos (1936) et la stupéfiante transcription du Poème de l’Extase (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé) Pour la 16e fois, le pianiste Michael Schäfer nous ouvre de nouveaux horizons dans la série Un!erhört de GENUIN : après son CD paru en 2013, comportant de la musique de chambre de Leonid Sabaneeff, compositeur joué trop rarement et ceci bien à tort, il récidive à présent avec un double CD, sur lequel figure ses œuvres pour piano. Cette musique semble résider en suspens entre tous les mondes, entre tous les temps. Musique d’un compositeur qui a vécu – également à ses dépens – toute l’histoire russe, de l’empire tsariste jusque bien au-delà de la mort de Staline. Comme à l’accoutumée, le jeu de Michael Schäfer se situe à un haut niveau, à la fois inspiré et ardent. Pour les passionnés de la Russie et les inconditionnels des touches noires et blanches, un must! Already for the 16th time the pianist Michael Schäfer opens up new worlds for us in his GENUIN series Un!erhört ("Unheard"). After the 2013 release of the CD featuring the (unrightfully) rarely performed chamber music by Leonid Sabaneev, Michael Schäfer is now presenting the first volume of Sabaneev’s piano works as a double CD. This music seems to be placed between all worlds and epochs: music of a composer who experienced and suffered the entire Russian history, from the Russian Empire up until long after Stalin's death. Michael Schäfer plays to his customary high standard, inspired and passionate – for Russian fans and keyboard enthusiasts a must!
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