À l’exception du seul célèbre Concerto en ré mineur et de l’intégrale réalisée en 1977 par Ilse von Alpenheim et son époux, Antal Dorati, haydnien émérite (VOX QSVBX 5136, accessible également sur internet), nous ne disposions plus de l’ensemble des œuvres pour clavier et orchestre de Joseph Haydn. Voici une regrettable lacune désormais comblée. Matthias Kirschnerheit, avec esprit, goût et virtuosité pleinement assumée, livre dans ces deux CDs une somme qui mérite d’être connue et appréciée pour tout ce qu’elle révèle de l’accomplissement progressif d’un compositeur de génie, qui, un peu à la manière de C.P.E. Bach chroniqué ici même, quoique fermement de son époque, a su préfigurer les développements futurs de son art et des esthétiques musicales. Échelonnés de 1750, Haydn a alors dix-huit ans, jusqu’à son quinquagénériat (1784), ces huit œuvres ont toutes la particularité d’être écrites en tonalité majeure et d’avoir été conçues pour être interprétées au clavecin, au fortepiano voire à l’orgue. Exécutées aujourd’hui sur un piano moderne, elles trouvent là une homogénéité de style agrémentée d’une grande diversité d’humeurs parfaitement accordées à la volonté esthétique d’un interprète qui sait apporter une grande variété de couleurs à l’ensemble de ces partitions que l’on pourrait considérer de prime abord assez monochromes. En effet, si, y compris le Double Concerto pour violon et piano de 1756, toutes les œuvres présentées ici affectent le mode majeur qui pourrait refléter l’abondance et l’insouciance dans laquelle vivrait un compositeur dédié au confort, à la renommée et au bien-être de son employeur, en l’occurrence les princes Esterházy, il ne faudrait pas croire que ces concertos ne renferment pas des passages dramatiques, dans un style proche des compositions de Mozart. C’est à quoi s’attache avec art Matthias Kirschnerheit, parfaitement secondé par le Württembergisches Kammerorchester Heilbronn qu’il dirige. Grâce à un toucher particulièrement subtil et coloré, grâce à la composition des cadences qu’il a écrites pour ces concertos, dans lesquelles il intercale intelligemment des réminiscences d’autres œuvres pour clavier de Haydn, nous voilà subitement devenus compères de Mozart et déjà voisins de Mendelssohn. Ajoutons enfin que l’adaptation par Ettore Prandi du Finale Rondo All’Ungarese Presto du Trio Hob XV :25, incluse dans le CD1, et la verve du semblable et très connu Rondo All’Ungarese du Concerto Hob. XVIII :11 dans le CD2, tissent discrètement un admirable fil les reliant à l’inspiration du dernier mouvement Presto du Quatuor avec piano Op. 25 de Brahms. Un enregistrement en tout point magnifique. (Jacques-Philippe Saint-Gerand)
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