 La rencontre de Marc André Hamelin avec For Bunita Marcus marqua une étape importante dans le développement de son art. Lui qui avait triomphé des pièces les plus touffues, dévoré la littérature la plus inextricablement virtuose, se trouva soudain face à une œuvre dont le propos est l’abolition du temps, et le moyen d’y parvenir la raréfaction du son. Littéralement il faut entrer dans l’instrument, fondre les marteaux dans les cordes, et peu à peu dans ce jeu d’échos de carillon qui semble l’ultime décantation du propos debussyste, tout un monde inconnu parait. Morton Feldman aura écrit ici son chef d’œuvre de clavier, difficile d’échapper à ses pouvoirs hypnotiques, d’autant que Marc André Hammelin raffine presque malgré lui les diffractions sonores perpétuelles qui assurent la croissance végétale de cette tapisserie de sons. Expérience troublante, qui le fut au premier chef pour l’artiste, mais le sera aussi pour l’auditeur, peu à peu pris dans le délicat lacis de ses sons venus d’un autre univers que les micros de Simon Eadon ont capturés vivants. (Jean-Charles Hoffelé)  A de multiples reprises, Morton Feldman a dédié ses compositions à ses amis peintres, musiciens ou écrivains, les baptisant simplement du patronyme de leur dédicataire. Parmi celles-ci, « For Bunita Marcus » est le cadeau d’un maître à l’élève avec laquelle s’était tissée une proximité quasi-fusionnelle. Emblématique de sa dernière période, lorsque Feldman s’était mis à étirer les durées à l’extrême, l’œuvre est l’une des plus enregistrées du compositeur. La surprise vient de ce que Marc-André Hamelin, étiqueté pour son goût de répertoires d’une prodigieuse difficulté technique, que ses capacités digitales hors-normes lui permettent de maîtriser, se soit aventuré dans cette musique simple d’apparence, au tempi alanguis, où les silences le disputent en importance aux notes. « For Bunita Marcus » règle en effet son compte à la barre de mesure et fait exploser le cadre de la pièce de piano classique. Mais au-delà de l’absence de structures c’est à la quintessence du son que s’intéresse Feldman : privé d’attaque, l’identification de sa source devient impossible jusqu’à ce que s’éloigne, dans un halo, le paysage ainsi créé. Paysage ténu, réduit à l’infime, qui fera naître chez l’auditeur, selon sa sensibilité, des sensations antinomiques : relaxation au fil de la longue succession de notes à la limite du silence ou extrême tension créée par la tentation exacerbée de guetter le moindre évènement comme s’il s’agissait du boson de Higgs. Le pianiste canadien, dont on admire toujours l’intelligence des œuvres, réalise à la perfection les intentions du compositeur. Il nous fait entrer dans une réalité virtuelle, image sonore d’un « multivers » où il n’est question que de temps et d’espace. Comme en physique quantique, le miracle se produit lorsque l’énergie naît du vide. Essentiel. (Yves Kerbiriou)  ‘I have no problem with notes … none at all’, was Feldman’s cryptic comment on For Bunita Marcus. Throughout the seventy-two-minute duration of this extraordinary work, notes coalesce into wisps of melody which drift softly in and out of an immense silence. You are indeed, as Marc-André Hamelin writes, entering ‘an alternate reality’.
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