Ce grand Pleyel de concert est connu d’abord pour son décor rare, orné comme un clavecin dans le goût des chinoiseries du temps de Louis XV, fond noir motifs dorés, ajouts de bronze, intérieur rouge, le meuble est magnifique, mais l’instrument lui-même, restauré avec art par l’équipe de Klavierhaus New York, donne une idée juste des grands pianos de concert que Debussy put entendre dans sa jeunesse, et qui faisaient la joie de la génération précédente, de Camille Saint-Saëns, de Gabriel Fauré. Debussy, semble-t-il, préférait le son moins brillant des Erard, leurs couleurs plus subtiles. Hiroko Sasaki le sait-elle, qui joue de ce grand clavier sonore avec une finesse cherchant d’abord la poésie ? Son jeu ne manque pas de caractère, Danseuses de Delphes, très dit, donne le ton d’une lecture élégante jusque dans le mystère, les sortilèges des registres orchestraux lui offrant des couleurs à profusion qu’elle tempère dans des sfumatos de peintre. L’usage des pédales élargi où modère la focale, le son de ce Pleyel peut être immense, mais il ne claironne jamais, l’équilibre des registres y veille. Ce n’est pas trahir la pianiste – je la sais artiste – d’avouer que j’écoute d’abord l’instrument, et c’est même la féliciter de le faire entendre avant tout, et Debussy avec lui : quelle fantaisie pour Le vent dans la plaine, avec ses éclats soudains, quel effacement du son dans Des pas sur la neige, quel quasi rien dans Canope et quelle épure pour Feux d’artifice. Disque fascinant, qui prouve que Debussy forgea son imaginaire dans des instruments qui, par bonheur, n’ont pas tous disparus… (Jean-Charles Hoffelé)
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