 Exubérante et fantasque mais également tourmentée voire sombre, la musique de Wilhelm Friedemann Bach conduit, dès lors qu'on accepte l'idée d'y consentir, à aimer le mouvement qui déplace les lignes et l'émotion qui corrige la règle. Le clavecin et le clavicorde sont les instruments les plus à même d'en restituer le mordant, les tournures abruptes et l'extrême vivacité. Le pianoforte peut cependant introduire ces nuances de délicatesse et de mystère qu'on trouve plus fréquemment chez Carl Philipp Emanuel. Leon Berben se hisse d'emblée au niveau des plus grands serviteurs du maître de la fantaisie et de la sonate, genre, faut-il le rappeler, absent du catalogue du père. Exigeante, l'écriture abonde en arpèges, appoggiatures, déplacements d'accents, changements fréquents de rythme auxquels toute imprécision serait fatale. Confirmant les qualités de son prédécesseur, ce deuxième volume a le grand mérite de nous présenter, outre des versions antérieures des sonates Fk1B et Fk6B, deux autres jusqu'ici considérées, l'une comme perdue (mi mineur, poignante et sensible, jouée au pianoforte) et l'autre d'authenticité douteuse (en ut, dont le style conduit le musicologue Peter Wollny à l'ajouter au catalogue Falck). En revanche, l'extraordinaire et emblématique (tout le génie de Wilhelm y est concentré) Fantaisie Fk16, présentée comme une première mondiale, ne l'est nullement. Il serait bienséant de ne pas oublier le travail déjà réalisé par d'aussi grands musiciens qu'Huguette Dreyfus (9 fantaisies, Denon). En somme, cet enregistrement est une triple réjouissance : des chefs d'œuvre d'expression lyrique, un interprète sensible, subtil et inspiré, enfin deux instruments qui captivent les sens et favorisent l'abandon de l'auditeur : un clavecin Gräbner (Dresde, 1782) et un pianoforte Hubert de 1787 construit sur le modèle des pianos carrés anglais. (Pascal Edeline)

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