Au-delà d’un aspect purement illustratif, "Rugby" (1928) se veut une traduction du mouvement, du jeu et des rapports qu’il génère, il trouve donc logiquement sa place en ouverture de ce beau programme qui, loin d’être une juxtaposition d’œuvres orchestrales, nous propose un véritable parcours symphonique non seulement musical mais spirituel. Ainsi, moins ludique et plus grave, la Symphonie n°3 (1945-1946), témoigne de la façon dont le compositeur utilise ce dynamisme jusque dans sa résorption finale, pour figurer "le combat qui se livre dans le cœur [de l’homme] entre l’abandon aux forces aveugles […] et l’instinct du bonheur, l’amour de la paix, le sentiment du refuge divin". La Symphonie n° 5 (1950) réveille à nouveau, prolonge et achève enfin, dans toute sa sombre ambigüité, cette effervescence orchestrale : Honegger, malade, n’a rien perdu de son énergie et se jette avec fièvre dans cet acte de foi en la musique, consolatrice et rédemptrice dont Mario Venzago, à la tête du Berner Symphonieorchester, est ici le grand prêtre inspiré et convaincant. L’interprétation ardente, les sonorités lumineuses jusque dans les clairs-obscurs, fournissent l’occasion d’une belle redécouverte d’un compositeur trop négligé et qui retrouve ici une place de choix entre Bruckner ou Mahler et Prokofiev ou Chostakovitch. (Alain Monnier) Spectateur régulier des matches de rugby parisiens des années 1920, Honegger se passionnait pour le rythme «sauvage, brusque, désordonné et désespéré» des matches et pour l’ensemble du spectacle qui y était lié. «J’aime: 1. Cette sorte d’euphorie, d’espoir, de joie irrésistible et infondée engendrée par le jeu; 2. simultanément, les phases fatidiques et imprévisibles du jeu, les dribblings des attaquants, les offensives des arrières, la confusion des mêlées, des échappées, des zigzags; 3. Finalement, l’atmosphère du plein-air, vibrant d’enthousiasme». Le compositeur n’avait pas tant à coeur de composer une musique à programme illustrative, mais visait bien plutôt la traduction sonore du dynamisme «abstrait », de l’athlétisme et de l’énergie que se renvoyaient constamment les deux équipes. Honegger a précisé que ce morceau «cherche tout simplement à exprimer les attaques et les ripostes de jeu, le rythme et la couleur d’un match au stade des Colombes.» Si l’on porte un regard sur l’ensemble de la longue vie de Honegger, on constate qu’il appartient à la génération qui a connu tant la Première guerre mondiale – et la brève embellie qui a suivi – que l’effondrement économique et les atrocités indescriptibles de la Deuxième guerre mondiale qui en ont découlé. Cette génération était donc doublement victime de la crise! Ceci a profondément marqué Honegger et a peut-être contribué au regard toujours plus sombre et plus pessimiste qu’il portait sur le monde. Cette vision des choses a sans doute trouvé sa première expression concrète en 1930 dans l’oratorio Cris du monde. Parmi les autres oeuvres pareillement engagées qui ont suivi figurent la Symphonie liturgique ainsi que la Cinquième Symphonie.
|