 Pierre Boulez reviendra encore deux fois à Pierrot lunaire, avec Yvonne Minton chantant plus qu’elle ne parle, avec Christine Schäfer confrontée aux ambitus délicats comme aux styles mêlés et s’en débrouillant parfois sans poésie. Vains efforts, il avait signé pour Wergo en 1961 une première lecture d’emblée la bonne. Helga Pilarczyk maîtrise l’art du sprechgesang, mettant juste ce qu’il faut de vocalité dans le récitatif, et son allemand tour à tour évocateur ou tranchant colle à l’étrangeté des poèmes d’Albert Giraud. Boulez conduit son ensemble avec une fluidité qu’il ne retrouvera plus par la suite et la prise de son précise saisit les timbres épicés des instrumentistes français avec réalisme, car l’enregistrement fut réalisé à Paris. A vrais dire je n’ai jamais trouvé d’équivalent au naturel que dégage cette version. Sans hystérie, sans la tentation du cabaret, toujours d’abord musique, l’enregistrement doit beaucoup à sa pianiste, Maria Bergmann. Née en 1918, disparue en 2000, elle mena une carrière discrète en Allemagne, affiliée au Südwestfunk pour lequel elle enregistra des kilomètres de musique. Pianiste de radio était alors un métier qui vous exposait à tous les répertoires, et Bergman était une redoutable lectrice à vue. On lui mettait sur le pupitre une œuvre dont l’encre n’était pas encore sèche, elle en offrait sur le champ une interprétation plausible. Ces facilités auraient put être dangereuses, la condamner à la superficialité d’autant que son toucher classique était assez lisse, très beau comme on peut l’entendre ici. Mais l’artiste veillait toujours, inventive, lyrique mais précise, poétique mais sans jamais perdre le tactus de l’œuvre. Cette gravure historique du Pierrot lunaire lui doit beaucoup, il fallait le rappeler (Discophilia, Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)  Le Pierrot Lunaire op. 21 est un cycle de mélodies composée en 1912 à la demande d'une actrice de cabaret Albertine Zehme sur des poêmes du français Albert Giraud. Un ensemble de chambre comprenant deux clarinettes, flûte, violon, alto, violoncelle et piano, accompagne une voix de récitante (Sprechstimme). Le cycle est en trois parties de sept mélodies (3x7=21). Malgré le peu d'enthousiasme qu'insuffla Shœnberg dans la composition de l'ouvrage (accepté pour des raisons financières), ce dernier fut très bien accueilli par le public berlinois. Les raisons en sont simples : le langage musical correspond aux principes traditionnels de composition (A l'exception du « Nacht » annonciateur du langage futur), l'arrangement pour huit instruments favorise les couleurs, les timbres et les contrastes formels. Enfin le parlé-chanté de la soprano évoque le divertissement du cabaret. Arguant du fait qu'il n'existe pas de Sprechgesang idéal, Antoine Goléa qualifiait « le Pierrot Lunaire » d'œuvre aléatoire, il y a selon lui, autant de pierrot que d'interprètes. (Ne serait ce qu'avec Pierre Boulez : Minton, Schäfer, Pilarczyk). Chacun y va de sa manière propre. L'œuvre étant suffisamment ouverte et solide pour ne rien y perdre et tout y gagner. Pilarczyk dans cette version de 1961 se révèle plus diseuse que chanteuse. Dotée d'une voix puissante mais subtile (graves de matrone, aigüs de poupée), elle fonde son expression sur une articulation précise et une déclamation prompte et enlevée. Le chant fuse par intermittence. Parfois la voix semble s'égarer, s'échapper du texte ou s'y perdre. Les masques tombent, les portraits se dévoilent, les décors s'affinent, les humeurs se brouillent. L'ambiguîté sulfureuse (ambiance décadente, surréalisme des images) des poêmes de Giraud est illustrée finement par la récitante. Pierre Boulez est particulièrement vigilant sur l'exactitude de la restitution sonore. Ainsi, la prise de son monophonique de l'enregistrement dessille de façon un peu épaisse chaque intervention (instruments et voix), créant une forme de jeu (cache-cache), de dialogue (badinage) voire de conversation (conciliabule), très fidèle à l'esprit de l'œuvre. A noter : le coffret (double) pour une notice très nourrie (comprenant les textes) et un seul CD au minutage radin (31 minutes). (Jérôme Angouillant)  The present recording of Arnold Schoenberg's "Pierrot lunaire" was the first long-playing record released by the newly founded label WERGO in 1962, which laid the foundation of the label's decades-long story of success. This important recording –with the soprano Helga Pilarczyk and under the direction of Pierre Boulez – has not been available on CD up to now. Now the label releases this highlight from its early days in an excellent sound quality on CD for the first time. The musical setting of “Three Times Seven Poems from Albert Giraud’s ‘Pierrot lunaire’” for speaking voice, piano, flute (or piccolo), clarinet (or bass clarinet), violin (or viola), and violoncello Op. 21 was composed by Schoenberg in just a few weeks, between 12 March and 30 May 1912, to be precise. The composition was written at the initiative of the actress Albertine Zehme. Schoenberg met her shortly after he had moved to Vienna from Berlin in 1911 and dedicated the piece to her “with heartfelt friendship”.
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