Un jeune homme anglais doté d’une certaine aisance financière, homosexuel notoire, tout à fait à l’écart de la vie sociale londonienne, reclus dans son somptueux studio de musique aménagé dans la propriété familiale, aura composé un œuvre important, absolument hors des préoccupations esthétiques de son époque, un peu à l’image de celui que bâtit Joseph Holbrooke. Un grand opéra (The Cenci d’après Shelley, créé au Scala Theater par Eugen Goossens, fiasco), trois symphonies, quelques belles partitions de chambre, mais il aura surtout écrit des pièces et des concertos pour son instrument, le piano. Malgré son isolement de créateur, sa musique aura séduit Benno Moiseiwitsch et Sergei Rachmaninov lui-même qui furent ses amis, l’encouragèrent à surmonter sa dépression chronique qui transparait dans toutes ses partitions, fascinantes par leur noirceur, leur gout du sombre, leur discours mortifère, et c’est aujourd’hui Simon Callaghan qui l ressuscite. Le génie si individuel de Coke parait à son plein dans les Concertos pour piano. Le Quatrième (1940) est bien un concerto de guerre, requiem sombre où le piano chante une plainte infinie que rien ne peut exhausser vers la lumière, jusque dans un final amer d’une poésie délétère dont Martyn Brabbins et ses écossais exaltent encore la noirceur. Quelle œuvre, qui ne ressemble à rien de ce qu’on écrivait alors en Angleterre et même en Europe, la preuve de l’art singulier d’un compositeur qu’il faut redécouvrir. Le Troisième Concerto est plus tenu par la forme, mais comment, entendant ses récitatifs et ses ballades, ne pas songer aux Concertos de Medtner dont il possède la lyrique effusive? Du moins ici les paysages reçoivent quelques rayons de soleil, fut-il couchant. En appendice, l’Andante piacevole, tout ce qui demeure d’un 5e Concerto probablement jamais achevé. Roger Sacheverell Coke avait posé sa plume, vingt-deux années encore d’une vie déserte, on l’oublia de son vivant, le voici revenu des ombres (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)
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