 Promenez votre regard entre ces deux sommets où expérimentation et lyrisme fusionnent avec bonheur, la Fantaisie op.80 pour piano, chœur et orchestre de Beethoven (1808) et le Concerto pour piano et chœur d’hommes (dernier mouvement) de Busoni (1904), vous apercevrez, telle une riante vallée reposant le voyageur épuisé bien qu'heureux, une symphonie concertante faisant elle aussi appel à cette formation rare : Die Tageszeiten, créée le 12 janvier 1880 à Wiesbaden, est une œuvre ambitieuse, cohérente, non dénuée de pittoresque et, plus important encore, particulièrement inspirée et même émouvante. Il faut préciser que sa thématique, les heures du jour, par la façon dont le Romantisme aura su en approfondir les liens secrets avec la Nature, à des années-lumière des lectures qu’en firent Telemann (Cantate, 1759) et Haydn (Symphonies nos6-8, 1761), favorise ici une dimension spirituelle à la fois exaltante et bienfaisante. Si son auteur, Joachim Raff, ne jouit pas aujourd’hui d’une grande notoriété, vous découvrirez néanmoins qu’à l’instar de contemporains tels que Reinecke ou Rheinberger, son métier très sûr ne constituait pas, contrairement à l'image léguée par l'académisme (souvent à juste titre), un obstacle à l’expressivité pas plus qu’à l’originalité qu'on peut constater d'emblée dans la structure du premier mouvement caractérisée par l'accroissement de l'effectif par annexion, piano-orchestre-chœur, et la succession des formes jouant avec la nature hybride d'une œuvre mi-vocale, mi-instrumentale: cadence-variations-fugue. La problématique contrastes-unité d'un cycle sollicitait déjà l’attention du compositeur germano-suisse dans les quatre symphonies (nos8-11, 1876-79) consacrées au saisons qu’il entreprit parallèlement. / La cadence introductive reprend l’innovation de Beethoven qui fit entrer le piano seul, entouré de silence, au début de son quatrième concerto, mais le ton héroïque, la nature flamboyante et majestueuse de l’irruption la rapprochent davantage de la cadence de l’Empereur dont on retrouve aussi la respiration et les trilles caractéristiques. Le second mouvement est d’une retenue et d’une intériorité dignes de Mendelssohn mais la ferveur grandissant jusqu’à la fin de l’ouvrage doit également à l’univers de ce compositeur dont le Songe d’une nuit d’été revient à l’esprit à l’écoute de certains chœurs magnifiques. La partie pianistique de l’œuvre est quant à elle parsemée de ces touches d’élégance altière typique de Liszt dont Raff fut le secrétaire particulier de 1850 à 1856. Faisant rapidement oublier l'importance véritable ou supposée de ces influences, un charme particulier se dégage et toutes les qualités évidentes de l’œuvre, clarté, vigueur, contrastes, beauté et noblesse des thèmes, raffinement d’orchestration, bénéficient de l’enthousiasme de ses interprètes, lui donnant un statut supérieur à la simple curiosité pour musicologues ou passionnés car un attachement réel surpasse rapidement le plaisir de la découverte. Mêlant mystère, intimisme et irrationnel, rattachés là aussi à la Nature, le cycle Die Sterne fascine par la puissance d'évocation de ses chants, de ses climats, du symbolisme fort de ses textes ainsi que par une infinité de couleurs et de nuances orchestrales. La première pièce Vom Firmament mérite une mention particulière, ne serait-ce que pour les sonorités presque wagnériennes de son introduction. Le chant du cor dans le lointain de Ein Stern der Höhen fällt achèvera de séduire tout amoureux du Romantisme allemand dans son âge d'or. (Pascal Edeline)

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