 Jusque là le disque n’avait révélé que la musique de chambre de Paul Juon, Trios , Quintettes, la Sonate pour piano, et à chaque fois je me disais quel métier, quel art, quelle belle musique. Mais avec ce qui constitue le premier volume d’une apparente intégrale de son œuvre d’orchestre – le label Musique Suisse a publié voici peu un album avec le Triple Concerto et le Concerto pour violoncelle « Mysterien » , précédent Serling mais n’annonçant pas de suite- je prends enfin la pleine mesure de celui qu’on surnomma le « Brahms russe ». Elève de Taneïev, il fera l’essentiel de sa carrière en Allemagne, et deviendra une figure majeure de la vie musicale berlinoise des années vingt. Tout retour en Russie lui fut interdit – ses parents étaient suisses – et le nazisme le contraignit à prendre sa retraite en Helvétie où il acheva ses jours durant la seconde guerre mondiale dans un oubli cruel. Son art est anti-progressif, même au sens où Schœnberg envisageait Brahms comme un progressiste, mais c’est un maitre de la forme, un contrapuntiste fulgurant, un connaisseur de l’orchestre qui écrit pour lui avec une virtuosité certaine, dans un idiome absolument romantique et refusant en cela tout post-romantisme. Très exactement Juon poursuit la route tracée par Tchaïkovski. D’où vient que sa musique ne sonne jamais paradoxale ? La densité de son écriture, la force des idées mélodiques, la qualité de son inspiration lui évite l’académisme. Il est hors du temps, affirmant son univers, solide comme un roc. La Deuxième Symphonie achevée en 1903 est l’objet principal de ce premier volume, elle montre toutes les qualités de cet univers, on pourrait faire un parallèle avec Glazounov, mais Juon abhorre le charme mélodique, la séduction, il veut entrainer son auditeur dans son univers sans concéder au plaisir. Et cela fonctionne, essayez. La Fantaisie sur des chants populaires danois qui ouvre le disque est plus qu’un brillant exercice de variations orchestrales, commencé dans un surprenant entre-cloche, elle montre que le symphoniste impétueux savait aussi jouer de la couleur orchestrale en magicien, ce que Christof Escher et son orchestre moscovite donnent à entendre avec brio. Il est temps d’ajouter définitivement le nom de Paul Juon à la grande saga des ultimes compositeurs de l’Empire Russe, aux cotés d’Alexandre Glazounov et de Nikolaï Tcherepnin (Discophilia - Artalinna.com). (Jean-Charles Hoffelé)  Né à Moscou en 1872, Paul Juon quittera sa Russie natale en 1898 après avoir étudié la composition auprès de Taneyev. Il participera à la vie musicale berlinoise jusqu’en 1934 et finira sa vie à Vevey (son père était suisse) où il meurt en 1940. Son œuvre abondante (99 numéros d’opus) s’inscrit dans le courant post romantique allemand de la fin du XIXème siècle (deuxième symphonie opus 23) et celui des écoles nationales redonnant une part importante au folklore populaire (fantaisie sur des chansons populaires danoises opus 31). La puissance architecturale de Brahms et l’art de l’orchestration de Tchaïkovski influenceront toute sa musique (Passacaille et rappels thématiques de sa deuxième symphonie évoquant la quatrième symphonie de Brahms, utilisation des percussions (cymbales couplées à la grosse caisse dans l’ouverture 1812, la Fantaisie Roméo et Juliette ou le dernier mouvement de la quatrième symphonie) et intervention des bois et de la harpe chers à Tchaïkovski). L’orchestre Symphonique de Moscou, puissant et coloré, nous prouve une fois de plus qu’il est un remarquable défenseur des répertoires oubliés (symphonies de Malipiero ou de Tournemire). (Guy Allio)

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