Jan Jacob van Eyck (1590-1657)
Le jardin des délices de la flûte

Simon Borutzki, flûte à bec

Jacob van Eyck, aveugle de naissance, fils d'une mère d'origine noble, vint au monde à l'aube du « siècle d'or néerlandais », ère de prospérité économique et culturelle durant laquelle les Provinces Unies devinrent un État-nation souverain constituant, dès 1602, sous l'impulsion de la Compagnie orientale des Indes Néerlandaises un empire commercial et colonial qui prit rang parmi les grandes puissances européennes. Promu carillonneur à Utrecht, il eut sous sa responsabilité plusieurs "instruments" chacun d'au moins vingt cloches, et rythma ainsi la vie quotidienne de ses concitoyens faisant entendre airs populaires et airs de danse, psaumes réformés, dont la mélodie, largement empruntée au psautier français était d’ailleurs souvent empruntée à des chansons populaires connues. Comme par mimétisme, il transposa l'exercice à une tout autre échelle, « miniature » cette fois, en élaborant de façon systématique, à partir des matériaux qui nourrissaient sa tâche de carillonneur, un vaste corpus de pièces solo, destinées à cet instrument au dehors presque dérisoire qu'est la flûte à bec soprano, largement pratiquée par les Néerlandais à l'époque. Il faut dire que le protestantisme calviniste, qui condamnait l'iconographie du divin et proscrivait le faste et l'apparat pompeux des rituels ponctuant le calendrier liturgique des « papistes » honnis, avait contribué à faire de la peinture et de la musique des moyens d'expression véhiculant les valeurs d'une bourgeoisie en pleine ascension : portraits de riches commerçants, de magistrats, peintures d'intérieurs cossus, natures mortes, scènes de genre supplantèrent les tableaux historiques ou religieux de vastes dimensions. En musique, l'essor de la pratique instrumentale domestique, la multiplication de petits cercles de musiciens, le succès de formes intimistes mobilisant des effectifs réduits témoignaient d'une mutation comparable, dont procède l'œuvre de Van Eyck. Publiée en 2 volumes "Der Fluyten Lusthof" (le jardin des délices de la flûte) consiste en 148 brèves mélodies de provenances diverses largement connues, à l’époque, sur lesquelles le compositeur brode des variations plus ou moins nombreuses. Les procédés d'écriture sont relativement simples, mais leur combinaison et leur cumul confèrent à cette musique une vivacité et une virtuosité qui exigent du flûtiste des prouesses permanentes : diminutions qui, décomposant en valeurs de plus en plus brèves des notes longues formant l'armature de la mélodie, enrichissent celle -ci, la paraphrasent intérieurement, et confèrent à la composition écrite la flexibilité d'une improvisation spontanée. Ornementation, écriture en écho, par laquelle un fragment est comme mis en abyme et donne l’illusion d’un dialogue, d’un dédoublement produit par un second instrument, changements dans les accents, les attaques, les intonations, précipitations rythmiques, jeux sur l’intensité (qui sont des défis pour la justesse avec ces instruments), tous les paramètres sont mis en jeu avec ingéniosité, l’interprète devenant un artificier. Une telle œuvre ne peut s'écouter d’un seul tenant, mais doit être explorée avec délicatesse, et Simon Borutzki a fort judicieusement recours à pas moins de 26 flûtes à bec différentes, de toutes les hauteurs, introduisant par là un élément qui prend en compte les affects liés pouvant être associés à telle ou telle pièce. À ma connaissance, l’unique intégrale, — en tout cas, la seule interprétée d’un bout à l’autre par le même flutiste ! Une réussite. (Bertrand Abraham)

The Fluyten Lust-hof is the most extensive collection of pieces for a wind instrument ever created. During the period of transition from the Renaissance to the Baroque, the bell expert and recorder virtuoso, Jacob van Eyck, blind from birth, dictated his approximately 150 diminutions of well-known church and folk melodies in order that they could be published. With this monumental complete recording, Simon Borutzki, with 26 recorders, presents a multi-layered universe of sound: from the deep, rich voices of the low tenor recorders to the twinkling, effervescent virtuosity of the Sopranino. Evergreens such as 'Amarilli mia bella', 'Flow my tears' and 'Questa dolce sirena' are found alongside free preludes, an echo fantasy, the 'Batali' battle scene, and the chirruping English nightingale.