Il était déjà une gageure que Grieg composât une musique de scène pour le drame poétique devenu pièce de théâtre en cinq actes qu’est le Peer Gynt (1866-1876) d’Ibsen. Il en est une autre de proposer une réinterprétation de 12 des 23 numéros contenus dans la réduction pour piano (op. 23) de cette musique de scène, que Grieg réunit ultérieurement en deux suites orchestrales (op. 46 et op. 55). Tormod Tvete Vik (né en 1975), sur fond d’orchestre à cordes, s’est brillamment acquitté de la tâche, faisant alterner le violon classique de Ragnhild Hemsing et le remarquable violon traditionnel Hardanger dont elle s’est fait une spécialité, et que les lecteurs de ClicMag connaissent désormais très bien. Cette double gageure est ici magnifiquement soutenue. On associe souvent, à tort, la musique de Grieg aux paysages et atmosphères norvégiens, alors que la pièce d’Ibsen dépeint les aventures du misérable Peer Gynt à la recherche du sens de la vie parmi l'exotisme du vaste monde, les déserts, les îles lointaines, les contrées inconnues. Reste que la musique de Grieg fortement teintée de couleurs folkloriques — qu’elles soient nordiques ou orientales — donne aisément à rêver. Au-dessus des Solistes de Trondheim parfaitement à l’unisson, les sonorités uniques du violon Hardanger, la fougue de l’interprète et son sens de l’improvisation font de ce rêve une réalité fascinante à chaque instant. La Danse d’Anitra (2), le Halling rapide des danses de fêtes (5), le Springar au rythme inégal (8), le Brudefølget drar forbi, procession de mariage norvégien (10), le Dovregubbens Hall du Roi des montagnes (12) en gagnent un pouvoir de séduction magnétique inégalable. En contrepoint la Chanson de Solveig (3) , la plainte d’Ingrid (4), la Danse arabe menée à un train d’enfer (6), le retour de Peer Gynt (7), la berçeuse de Solveig (9), la mort d’Åse (11) restituent aux mélodies de Grieg tout leur pouvoir de lyrique séduction. Une prise de son parfaite, des interprètes au sommet de leur art font de ce disque une réussite absolue à tous égards. (Jacques-Philippe Saint-Gerand)
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