Grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada, le jeune quatuor québecois Abysse propose sur ce disque un panorama musical argentin autour du quatuor à cordes, cadre que l’on n’associe guère pourtant spontanément aux compositeurs d’Amérique du Sud.

Le premier compositeur figurant sur le disque est le moins connu : Constantino Gaito (1878-1945), Argentin formé en Europe dans les années 1890. Cela se sent, tant son Second quatuor (1924) est marqué par des debussysmes bon teint même si des thèmes incas y sont paraît-il utilisés. L’œuvre aurait pu en vérité être écrite par Jean Cras. Cela signifie que c’est parfaitement équilibré, voluptueux et raffiné mais aussi que cela manque singulièrement d’originalité.

Le deuxième compositeur est évidemment plus connu puisqu’il s’agit d’Alberto Ginastera (1916-1983). La patte argentine, le rythme presque stravinskien ou bartokien, la polytonalité sont présents dans le Deuxième quatuor (1948) mais l’auteur n’y est pas très à l’aise et le style semble quand même moins adapté à l’effectif du quatuor qu’à la profusion des couleurs et à la masse de l’orchestre. Ce sont néanmoins les meilleures plages du disque. Il y a indéniablement une dynamique, une urgence, qui n’exclut pas un certain lyrisme, vespéral, comme dans le troisième mouvement, Calmo e poetico, tout à fait intéressant au sein d’une œuvre somme toute d’une belle unité cyclique.

Le troisième compositeur est encore emblématique : Astor Piazzolla (1921-1992). L’œuvre – une des plus connues de son auteur – résulte cette fois-ci d’un arrangement réalisé par l’altiste du Quatuor Abysse. Mais là, les choses ne vont vraiment plus : le quatuor, sa concentration sonore, son écriture serrée, sa rigueur obligée ne conviennent en rien à la musique sauvage de l’Histoire du tango (1986). L’interprétation renforce ce sentiment: c’est propre et on est très loin des bas-fonds de Buenos Aires. C’est sans souplesse, sans déhanchement et pour tout dire sans naturel. On a du mal à croire que les musiciens croient à ce qu’ils jouent.