 Voici un miracle. Pas un miracle qui vous tombe dessus, amené par quelque souffle venu d’on ne sait quelles sphères. Non : un miracle voulu, patiemment construit, tirant parti de multiples formes de créativité, d’invention, de savoirs anciens et modernes. Sur le plan musicologique d’abord, ce CD est le résultat sonore d’une recherche quasi-scientifique menée sur un instrument — la viole de gambe du début du XVIe siècle — dont on sait, par l’iconographie, par des traités et compositions laissés notamment par Ganassi — qu’elle était utilisée à Venise. En l’absence de tout instrument en état, ou fiable, des historiens, des musicologues, des acousticiens, des facteurs d’instruments, des informaticiens ont été mobilisés pour le reconstruire. Et de l’équilibre sonore, de la clarté, de la ductilité, qui caractérisent les combinaisons sonores variées dans lesquelles ces « nouvelles » violes entrent ici, naît pour l’auditeur ce qu’exprime exactement le mot « délectation ». Brille et miroite aussi ce qui constitue la base de la virtuosité vénitienne : l’ornementation. Faisant l’objet de nombreux écrits théoriques, elle n’était — sauf exceptions — pas notée dans le texte des œuvres. Pratiquée intuitivement par les interprètes, elle relevait d’une forme de « créativité selon les règles », qui devait leur permettre de se « distinguer ». La pratique des diminutions était un art hautement paradoxal : il était assez facile de retomber dans la « formule » et la répétition. On admirera ici l’invention, l’originalité et la fraîcheur des diminutions réalisées par les musiciens à partir des traités d’époque. Mais le charme de ce CD tient peut-être surtout à la construction du programme. Si Ganassi en est le centre, c’est de façon subtile et mouvante, presque allusive. Toute une galaxie de compositeurs gravite librement autour de lui et l’agencement des morceaux, à travers les contrastes — volubilité joyeuse et fière de la flûte à bec (3 et 6) par rapport à la simplicité un peu rugueuse des cordes (4) par exemple ou à l'emploi du seul luth (7), nous raconte véritablement une histoire qui vient tout entière se rassembler et se concentrer dans l’irradiation puissante, calme et sûre de la voix d’Ulrike Hofbauer. Merveille ! (Bertrand Abraham)

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