Claudio Monteverdi Lincoronazione Di Poppea Version De 1651 Davila Bill Tschumi Börner Reize

Avec l'opéra qu'il publie (avec ses élèves et amis) en 1643, l'année de sa mort, à 75 ans, Monteverdi opère une nouvelle rupture, tant thématique que stylistique. L'excellent et audacieux livret du poète Busenello est totalement amoral. Rien à voir avec le symbolisme sophistiqué de l'Orfeo, ni avec le ressort mythologique du Ritorno d'Ulisse in patria. Le thème principal du Couronnement de Poppée, annoncé dès le prologue, est le pouvoir absolu et destructeur de l'Amour, y compris sur la société. Erotisme, cruauté, ambition, lâcheté mènent la danse. Et le duo amoureux final de Néron et Poppée ne doit pas faire illusion : L'histoire finira mal, les lecteurs de Tacite le savaient. Une intrigue secondaire - l'amourette entre le page et la demoiselle - apporte seule une touche comique et sympathique dans cette tragédie shakespearienne. Les personnages sont complexes, de chair et de passion, ni sympathiques ni antipathiques. Leur psychologie est fouillée, à une profondeur que seul le tandem Mozart – Da Ponte égalera. Rupture stylistique aussi : Depuis l'ouverture à Venise, en 1637, du premier opéra payant et ouvert à tous, l'opéra vénitien est conçu pour les chanteurs. Les choeurs disparaissent, les instruments jouent les utilités. L'ouverture se réduit à deux danses stylisées. La continuité du récitatif est brisée par le « pezzo chiuso », des sections cantabile ou des refrains ; la voie est ouverte à la distinction entre aria et récitatif et au bel canto, l'opéra baroque est né. Le « stile concitato » que Monteverdi a inventé pour les besoins du Combattimento traduit ici la colère de Néron. Dans son émouvant adieu à Rome, la voix d'Ottavia s'affaiblit de façon réaliste. Outre le livret de Busenello, il existe deux manuscrits de la partition, qui diffèrent en bien des cas tant dans la construction scénique que dans l'instrumentation : C'est la version qui aurait servi pour une représentation napolitaine en 1651/52 qu'Andreas Reize a choisi pour son ensemble, le cantus firmus consort. Tant mieux, parce qu'elle est rarement enregistrée. Les partitions retrouvées n'indiquant que les parties vocales et la basse, et très peu d'indications sur l'instrumentation, les harmonies, les tempi, il fallait faire des choix. Reize introduit des symphonies de collègues et disciples de Monteverdi comme transitions entre des scènes. Il faut aussi redistribuer les voix autrefois attribuées à des castrats. En la matière, Reize suit en gros les préconisations d'Harnoncourt. Ses choix sont parfois surprenants (tant mieux !), notamment dans l'utilisation des percussions, ils sont souvent convaincants, toujours séduisants. Les tempi sont enlevés, variés, réalistes, voire naturalistes. Les chanteurs sont remarquables, tant pour leur virtuosité que pour leur sens dramatique - comique quand il le faut (Marc Galand)