 En 1888, Brahms déjà conscient des pas qui l’avançaient vers la vieillesse, loin des ardeurs de ses Sonates pour piano de jeunesse (1853-1853), approfondissait les charmes de la clarinette de Richard Mühlfed (1856-1907), le virtuose incontesté de l’époque. Il composait alors un Quintette en Mi mineur, avec clarinette, depuis lors perdu, mais qu’il qualifiait déjà, dans une lettre à Clara Schumann, de « cruel ». En 1891, Brahms, faisant dans ses dernières œuvres le bilan de sa carrière et de sa vie, composait ensuite ce Quintette en Si mineur op. 115 pour clarinette en La. Il avait auparavant composé la même année le Trio avec clarinette op. 114 dont, avec la self-ironie qui l’empêchait de sombrer dans les désillusions moroses de l’âge, il faisait le jumeau « d’une encore plus grosse sottise », en l’occurrence le présent Quintette. Imaginerait-on toutefois musique plus prenante et poignante que ces quatre mouvements admirablement construits et empreints de l’âpreté du sentiment de l’inéluctable tarissement des forces de jeunesse ? Avec un motif mélodique aisément identifiable, l’Allegro initial installe un climat de lyrisme introverti que développe avec plus d’émotion l’Adagio en Si mineur suivant, notamment dans le Più lento médian. Avec ses volutes virtuoses, le jeu rhapsodique de la clarinette y évoque le souvenir nostalgique des musiques tziganes avant qu’un Andantino, puis Presto non assai, ma con sentimento, n’accentue le caractère spectral de cette évocation. Le Finale, Con moto en Si mineur est une suite de cinq variations amenant progressivement à la résolution résignée de cette vaste musique de nuit qu’est le Quintette en Si mineur. Magnifiquement servie par Karl Leister (1937-) ex-clarinette solo du Philharmonique de Berlin sous Karajan et Abbado, et le Quatuor Vermeer, cette œuvre trouve là une version de référence qu’on est heureux de voir perdurer grâce au label Orfeo. (Jacques-Philippe Saint-Gerand)

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